La gratuité des camps scolaires obligatoires et des cours de langue supplémentaires indispensables
ATF 144 I 1 – TF, 07.12.2017, 2C_206/2016*
Les dépenses pour les excursions et les camps font partie des moyens nécessaires et servant immédiatement l’objectif d’enseignement, lorsqu’il existe une obligation d’y participer. Dans ce cas, elles font partie de l’enseignement de base suffisant et gratuit (art. 19 Cst.). Partant, on ne peut facturer aux parents que les frais d’alimentation qu’ils économisent en raison de l’absence de leurs enfants, soit au maximum entre 10 et 16 CHF par jour.
Il n’est pas compatible avec l’égalité des chances garantie par l’art. 19 Cst. de facturer (en partie) l’enseignement linguistique supplémentaire et/ou les services d’interprète indispensables pour que l’enfant reçoive une offre de formation suffisante au sens de l’art. 19 Cst.
Faits
Le Grand Conseil du canton de Thurgovie modifie la loi cantonale sur l’école primaire. Alors que l’ancienne version prévoyait que des contributions pour les déplacements scolaires, les excursions, les camps et les autres évènements obligatoires pouvaient être demandées dans la mesure des économies correspondant en moyenne à celle du foyer, la nouvelle version n’apporte plus cette précision et se contente de prévoir qu’il est possible d’exiger des contributions pour ces évènements. Il ressort des travaux préparatoires que cette révision vise à régler les détails du calcul dans l’ordonnance, plutôt que dans la loi, car la formule est actuellement perçue comme trop rigide, compliquée et impraticable. Dans l’ordonnance adoptée parallèlement par le Conseil d’Etat, il est ainsi prévu que les communes scolaires peuvent prélever un forfait de maximum 200 CHF pour les camps obligatoires et 300 CHF pour les camps de sports d’hiver.
La révision prévoit en outre que, dans des cas particuliers, les écoliers et les écolières peuvent être obligé(e)s de suivre des cours de langue. Une participation aux frais peut être mise à la charge des titulaires de l’autorité parentale pour ces cours ainsi que pour d’éventuels services d’interprète. Dans l’ordonnance du Conseil d’Etat, il est prévu qu’une participation peut être exigée lorsqu’il existe des possibilités exigibles d’apprendre la langue allemande.
Des parents d’élèves recourent au Tribunal fédéral contre ces dispositions. Ils contestent uniquement la possibilité de mettre à leur charge des contributions et non le principe de l’obligation de suivre les cours. Le Tribunal fédéral doit déterminer si une participation financière des titulaires de l’autorité parentale pour des activités scolaires extra-muros et des cours de langue supplémentaires indispensables est compatible avec le droit à un enseignement de base suffisant et gratuit (art. 19 Cst.).
Droit
Le Tribunal fédéral commence par rappeler que le droit à un enseignement de base suffisant et gratuit (art. 19 Cst.) fonde un droit individuel justiciable à une prestation positive de la part de l’Etat dans le domaine de la formation. Il s’agit d’un « droit-obligation » : au droit individuel à un enseignement de base correspond l’obligation individuelle de suivre cet enseignement. Le droit à un enseignement suffisant comprend un enseignement approprié et adapté pour chaque individu et qui suffit à préparer de manière adéquate les élèves à une vie quotidienne autonome. Le droit est violé lorsque la formation de l’enfant est restreinte d’une manière telle que l’égalité des chances n’est plus garantie, respectivement lorsque l’enfant ne reçoit pas un enseignement qui est considéré comme indispensable selon les conceptions actuelles en Suisse.
Le Tribunal fédéral rappelle que le droit à la gratuité exclut le prélèvement de frais d’écolage. D’après une jurisprudence et une doctrine anciennes, la gratuité ne se rapporte qu’à l’enseignement par le personnel. Selon la doctrine plus récente, elle comprend tous les moyens nécessaires et servant immédiatement l’objectif d’enseignement, y compris le matériel pédagogique et scolaire. D’après les avis récents, cela comprend également l’enseignement supplémentaire individuellement nécessaire, dans le cadre de l’offre effective et de la capacité limitée de l’Etat à fournir des prestations. Savoir si les autorités scolaires peuvent exiger des participations aux frais d’alimentation, de transports et d’hébergements lors de camps de classe et d’excursions est en revanche controversé.
Pour trancher cette question, il faut déterminer si de tels évènements appartiennent à l’enseignement de base nécessaire. Celui-ci doit nécessairement être gratuit. Si l’on part de l’idée que les autorités doivent mettre à disposition gratuitement tous les moyens nécessaires et servant immédiatement l’objectif d’enseignement, les dépenses pour les excursions et les camps en font partie, lorsqu’il existe une obligation d’y participer. Dans un tel cas, elles ont en effet lieu dans le cadre usuel de l’enseignement ordinaire. Partant, on ne peut facturer aux parents que les frais qu’ils économisent en raison de l’absence de leurs enfants. Il s’agit seulement des frais d’alimentation, qui devraient se situer (suivant l’âge de l’enfant) au maximum entre 10 et 16 CHF par jour. Pour les offres hors du cadre de l’enseignement ordinaire, il est en principe possible d’exiger des contributions plus élevées. De ce point de vue, le Tribunal fédéral estime que la disposition législative révisée n’est pas compatible avec le droit à un enseignement de base suffisant et gratuit.
En ce qui concerne la participation aux coûts des cours de langue supplémentaires, le Tribunal fédéral rappelle premièrement que des connaissances linguistiques suffisantes sont une condition essentielle pour l’intégration scolaire et le développement des élèves. Dès lors, il n’est pas compatible avec l’égalité des chances de facturer des coûts pour l’enseignement linguistique supplémentaire indispensable. Si une école estime qu’un cours de langue est nécessaire pour que l’enfant reçoive une offre de formation suffisante, elle ne peut pas exiger des parents une participation financière. Le même raisonnement s’applique aux frais d’interprète : si les services d’un interprète sont nécessaires pour l’enseignement de base suffisant, ils doivent également être mis à disposition gratuitement. Cette réglementation est donc également incompatible avec l’art. 19 Cst.
Au vu de ce qui précède, le Tribunal fédéral admet le recours des parents d’élève et annule les deux dispositions litigieuses.
Proposition de citation : Camilla Jacquemoud, La gratuité des camps scolaires obligatoires et des cours de langue supplémentaires indispensables, in: https://lawinside.ch/557/
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