L’inégalité de rémunération dans la fonction publique
ATF 143 I 65 – TF, 02.02.2017, 8C_158/2016*
Faits
La fonction de directeur d’une prison genevoise surpeuplée est colloquée en classe 28. Cette fonction entrait dans le champ d’application de l’ancien art. 23A LTrait (RS/GE B 5 15) lequel prévoyait que les cadres dès la classe 27 exerçant des responsabilités hiérarchiques pouvaient percevoir une indemnité égale à 8.3 % de leur salaire. Sur la base de cet ancien art. 23A LTrait, le Conseil d’Etat genevois a édicté un règlement aux termes duquel les médecins d’un hôpital à Genève ainsi que les cadres supérieurs de l’administration cantonale devaient recevoir cette indemnité.
Le directeur de la prison précitée a donc reçu cette indemnité durant une certaine période.
Le 29 janvier 2015, l’art. 23A LTrait a été abrogé et a été remplacé par un nouvel art. 23B LTrait qui prévoit que dès la classe 27, les médecins de l’hôpital genevois mentionné précédemment exerçant des responsabilités hiérarchiques peuvent percevoir une indemnité égale à 8.3 % de leur salaire. Le nouveau droit ne fait en revanche plus mention des cadres supérieurs de l’administration cantonale.
Par décision du 20 avril 2015, le Conseil d’Etat a informé le directeur de prison, qu’en exécution de la nouvelle réglementation, l’indemnité de 8.3 % serait supprimée à partir du mois d’avril 2015.
Sur recours du directeur de prison, le Tribunal cantonal a confirmé la décision du Conseil d’Etat. Se prévalant notamment d’une inégalité de traitement (entre lui et les médecins de l’hôpital genevois), le directeur de prison recourt au Tribunal fédéral, lequel doit déterminer les contours de l'(in)égalité de la rémunération dans la fonction publique.
Droit
Le Tribunal fédéral commence par rappeler que de la garantie générale de l’égalité de traitement de l’art. 8 al. 1 Cst. découle l’obligation de l’employeur public de rémunérer un même travail avec un même salaire. Toutefois, dans les limites de l’interdiction de l’arbitraire, les autorités disposent d’une grande marge d’appréciation, particulièrement en ce qui concerne les questions d’organisation et de rémunération. Le Tribunal fédéral rappelle que la juridiction saisie doit observer une retenue particulière lorsqu’il s’agit non seulement de comparer deux catégories d’ayants droit mais de juger tout un système de rémunération ; elle risquerait en effet de créer de nouvelles inégalités.
La question de savoir si des activités doivent être considérées comme identiques dépend d’appréciations qui peuvent se révéler différentes. Dans les limites de l’interdiction de l’arbitraire et du principe de l’égalité de traitement, les autorités sont habilitées à choisir, parmi les multiples éléments pouvant entrer en considération, les critères qui doivent être considérés comme déterminants pour la rémunération des fonctionnaires.
Le droit constitutionnel n’exige pas que la rémunération soit fixée uniquement selon la qualité du travail fourni, voire selon des exigences effectivement posées. Les inégalités de traitement doivent cependant être raisonnablement motivées, et donc apparaître objectivement défendables. Ainsi le Tribunal fédéral reconnaît que l’art. 8 Cst. n’est pas violé lorsque les différences de rémunération reposent sur des motifs objectifs tels que l’âge, l’ancienneté, l’expérience, les charges familiales, les qualifications, le genre et la durée de la formation requise pour le poste, le temps de travail, les horaires, le cahier des charges, l’étendue des responsabilités ou les prestations. D’autres circonstances, qui n’ont pas trait à la personne ou à l’activité de l’employé, peuvent également justifier, à tout le moins temporairement, des différences de salaire, comme une situation conjoncturelle rendant plus difficile le recrutement du personnel ou des contraintes budgétaires de la collectivité publique.
Après avoir analysé les travaux préparatoires relatifs à l’abrogation de l’art. 23A LTrait et à son remplacement par le nouvel art. 23B LTrait, le Tribunal fédéral relève que l’indemnité litigieuse en faveur des seuls médecins au service de l’hôpital répond avant tout à un souci du législateur genevois de garder au service de l’établissement des médecins disposant des meilleures compétences médicales et ainsi d’assurer la qualité des soins d’un hôpital public de pointe. Le Tribunal fédéral constate que cette exigence de qualité vise également à assurer le recrutement de médecins en restant attractif par rapport aux autres établissements hospitaliers ou à la pratique médicale privée.
Le Tribunal fédéral considère dès lors que de tels motifs apparaissent objectivement défendables au regard du principe de l’égalité de traitement et que, partant, il convient de rejeter le recours du directeur de prison.
Proposition de citation : Arnaud Nussbaumer-Laghzaoui, L’inégalité de rémunération dans la fonction publique, in: https://lawinside.ch/400/