La notification d’un commandement de payer et l’infraction de contrainte (art. 181 CP)
Faits
Un locataire conclut avec un bailleur un contrat de bail d’une durée de 10 ans. Environ deux mois après la conclusion du contrat, le locataire résilie le bail. Le bailleur indique au locataire qu’il ne peut pas dénoncer le bail de manière anticipée et lui propose de régler amiablement le litige moyennant paiement par le locataire de 20’000 francs. Le bailleur indique au locataire qu’en cas de refus de son offre, il intenterait à son encontre des poursuites ainsi que diverses autres mesures judiciaires, telles que par exemple un séquestre ou une saisie de salaire en mains de l’employeur.
Le bailleur adresse peu de temps après un commandement de payer de 610’000 francs au locataire, représentant les loyers des 10 ans de bail. Le locataire forme opposition au commandement de payer, dont le bailleur demande la mainlevée, qui lui est refusée.
Les instances cantonales reconnaissent le bailleur coupable de tentative de contrainte.
Le bailleur interjette un recours en matière pénale au Tribunal fédéral, qui doit déterminer si la notification du commandement de payer constitue en l’espèce une tentative de contrainte (art. 181 CP).
Droit
Se rend coupable de contrainte selon l’art. 181 CP celui qui, en usant de violence envers une personne ou en la menaçant d’un dommage sérieux, ou en l’entravant de quelque autre manière dans sa liberté d’action, l’aura obligée à faire, ne pas faire ou à laisser faire un acte.
Le Tribunal fédéral rappelle que la contrainte n’est contraire au droit que si elle est illicite, ce qui est notamment le cas lorsqu’un moyen conforme au droit utilisé pour atteindre un but légitime constitue, au vu des circonstances, un moyen de pression abusif. Le Tribunal fédéral souligne que faire notifier un commandement de payer lorsqu’on est fondé à réclamer une somme est licite. En revanche, user ce procédé comme moyen de pression est abusif, donc illicite.
Dans un premier temps, le Tribunal fédéral se penche sur la question de savoir si la notification du commandement de payer est un moyen de pression. A ce sujet, il retient que la notification d’un commandement de payer d’un montant supérieur à 600’000 francs constitue la menace d’un dommage sérieux, et ce, quelle que soit la sensibilité réelle de la personne destinataire de l’acte de poursuite. Ainsi, le commandement de payer en l’espèce supérieur à 600’000 francs constitue un moyen de pression.
Dans un second temps, le Tribunal fédéral doit en l’espèce déterminer si la notification du commandement de payer est abusive, soit illicite. A ce propos, le Tribunal fédéral examine l’intention du bailleur lorsqu’il a fait notifier le commandement de payer.
En l’occurrence, le Tribunal fédéral relève que la manière d’agir du bailleur, soit très rapidement après la résiliation, et l’absence de suite donnée à un rejet de la mainlevée de l’opposition, rend douteuse la volonté du bailleur d’obtenir rapidement un paiement du locataire. Aussi, le bailleur a indiqué au locataire qu’il intentera d’autres mesures judiciaires (séquestre, etc.). Le Tribunal fédéral considère ainsi que le bailleur montre son intention d’utiliser le commandement de payer comme un moyen de pression envers le locataire pour l’amener à accepter le règlement amiable proposé.
Dès lors, la notification du commandement de payer est un moyen de pression abusif, de sorte que le bailleur commet par ce biais une tentative de contrainte au sens de l’art. 181 CP.
Partant, le Tribunal fédéral rejette le recours.
Proposition de citation : Tobias Sievert, La notification d’un commandement de payer et l’infraction de contrainte (art. 181 CP), in: https://lawinside.ch/380/