L’invalidation de l’initiative populaire cantonale « Contre l’ouverture d’un centre « Islam et Société » à l’Université de Fribourg : non à une formation étatique d’imams »
ATF 143 I 129 – TF, 14.12.2016, 1C_225/2016*
Faits
Par décret du 18 mars 2016, le Grand Conseil du canton de Fribourg décrète la nullité de l’initiative constitutionnelle populaire cantonale « Contre l’ouverture d’un centre « Islam et Société » à l’Université de Fribourg : non à une formation étatique d’imams ». Il se fonde sur le Message du Conseil d’Etat qui considère que l’initiative est contraire au droit supérieur en raison d’une violation de l’interdiction de discrimination de l’art. 8 al. 2 Cst. L’initiative est conçue en termes généraux et vise à modifier la constitution cantonale afin d’y introduire une base légale n’autorisant pas la création d’un centre « Islam et société » tel que projeté et empêchant ainsi qu’une quelconque formation étatique d’imams soit instaurée. L’exposé des motifs indique principalement les arguments suivants : le coût important à charge des contribuables ; la légitimité d’une formation universitaire de religieux uniquement pour les églises disposant d’un statut de droit public cantonal ; l’inutilité du centre vu l’offre déjà existante ; l’inégalité de traitement de la formation universitaire sur l’islam par rapport aux autres religions ; le risque que le centre intègre une formation coranique complète et, enfin, l’institutionnalisation de l’islam à l’Université comme mauvaise réponse dans le contexte mondial du fondamentalisme islamique.
Le parti de l’Union Démocratique du Centre (UDC) du canton de Fribourg ainsi que Roland Mesot forment un recours en matière de droit public au Tribunal fédéral, appelé à examiner le bien-fondé du prononcé de la nullité de l’initiative.
Droit
Le Tribunal fédéral commence par rappeler qu’une initiative populaire cantonale doit respecter les conditions matérielles qui lui sont imposées, dont le respect du droit supérieur. Pour déterminer si ces conditions sont remplies, l’initiative doit être interprétée en prenant comme point de départ son texte. Ce dernier doit être interprété selon sa lettre et non selon la volonté des initiants. Néanmoins, une référence à la motivation de l’initiative n’est pas exclue si elle est indispensable à sa compréhension. La volonté des auteurs doit être prise en compte, à tout le moins dans la mesure où elle délimite le cadre de l’interprétation du texte et du sens que les signataires ont pu raisonnablement lui attribuer. Le Tribunal fédéral rappelle ensuite le principe in dubio pro populo, selon lequel un texte n’ayant pas un sens univoque doit être interprété de manière à favoriser l’expression du vote populaire. Les invalidations doivent ainsi être le plus possible limitées, de sorte qu’en cas de doute, on doit retenir la solution la plus favorable aux initiants. Même si la marge de manœuvre pour reconnaître la compatibilité au droit supérieur est plus grande en cas de projet non formulé, un tel projet doit néanmoins être déclaré nul si, de par son but même ou les moyens mis en œuvre, il ne peut être compatible qu’avec des réserves ou des conditions qui en modifient profondément la nature.
Dans le cas présent, le Tribunal fédéral se pose la question de savoir si l’initiative est conforme à l’interdiction de discrimination (art. 8 al. 2 Cst.). Il y a discrimination lorsqu’une personne est juridiquement traitée de manière différente, uniquement en raison de son appartenance à un groupe déterminé, mise à l’écart ou considérée comme de moindres valeurs. Pour autant, il n’est pas absolument inadmissible de se fonder sur un critère prohibé pour procéder à une distinction. L’usage d’un tel critère fait cependant naître une présomption de différenciation inadmissible qui ne peut être renversée que par une justification qualifiée : la mesure doit poursuivre un intérêt public légitime et primordial, être nécessaire et adéquate et respecter dans l’ensemble le principe de la proportionnalité.
En l’espèce, l’initiative fonde une inégalité de traitement dans des situations comparables dans la mesure où elle crée une interdiction liée à une seule religion, un des critères exprès de l’art. 8 al. 2 Cst. L’interdiction doit donc être qualifiée de discriminatoire. Il faut dès lors examiner si cette discrimination repose sur des motifs justificatifs. Selon les recourants, « […] il est inopportun de dépenser les deniers publics pour créer de nouvelles institutions non impératives pour la population » et l’Etat de Fribourg ne peut pas favoriser une religion au détriment des autres, à l’exception des communautés bénéficiant d’un statut de droit public. Le Tribunal fédéral estime que ces motifs ne sont pas pertinents pour interdire une activité de recherche et d’enseignement à propos d’une seule religion n’ayant pas le statut de droit public (à l’exclusion des autres religions non reconnues). Il en résulte que la discrimination fondée sur la religion n’est pas admissible en l’espèce.
Le Tribunal fédéral examine si l’initiative peut toutefois être interprétée de manière conforme à la Constitution. Selon les recourants, elle ne viserait pas l’islam en particulier, mais voudrait opérer une distinction entre les communautés religieuses reconnues et non reconnues. Les juges rejettent cette conception sur la base de l’intitulé et du texte de l’initiative, qui ne se réfèrent qu’à l’islam, ainsi que de l’exposé des motifs des initiants, dont quatre points font expressément et exclusivement référence à l’islam. Au vu de ces éléments, il est exclu que les signataires de l’initiative aient pu la comprendre comme interdisant la création de centres universitaires à propos de toutes les communautés religieuses non reconnues. Par ailleurs, le texte de l’initiative est si clair et précis qu’on ne peut ni l’interpréter de manière plus large ni admettre une invalidation partielle (et soumettre au vote la partie sur la formation étatique d’imams, que le Tribunal fédéral estime de toute façon comme contraire au droit supérieur).
Il en résulte que l’initiative est contraire à l’interdiction de discrimination de l’art. 8 al. 2 Cst. et que la déclaration de nullité de l’initiative par le Grand Conseil respecte le droit constitutionnel fédéral et cantonal. Le recours doit donc être rejeté.
Note
Le Message du Conseil d’Etat se fonde sur deux avis de droit rédigés par les Professeurs Pascal Mahon et Benjamin Schindler et disponibles à cette adresse.
Proposition de citation : Camilla Jacquemoud, L’invalidation de l’initiative populaire cantonale « Contre l’ouverture d’un centre « Islam et Société » à l’Université de Fribourg : non à une formation étatique d’imams », in: https://lawinside.ch/374/