La prétention du courtier en rémunération à l’encontre d’un preneur d’assurance
ATF 142 III 657 | TF, 26.08.2016, 4A_152/2016*
Faits
Un preneur d’assurance conclut un « contrat de courtage » avec un courtier en assurance. Le courtier s’engage à négocier des contrats d’assurance (Bruttopolicen) pour le compte du preneur d’assurance. Selon le contrat, il ne revient pas au preneur d’assurance (mandant) de rémunérer le courtier. La rémunération du courtier se fait par le biais des commissions que le donneur d’assurance s’engage à verser au courtier pour le cas où un contrat d’assurance est conclu (convention de commission).
Après des négociations, le courtier propose quatre contrats d’assurance au preneur d’assurance. Après coup, le preneur d’assurance résilie le contrat avec le courtier et engage un autre courtier. Le preneur d’assurance conclut ensuite quatre contrats d’assurance avec les quatre donneurs d’assurance. Il demande aux donneurs d’assurance de verser les commissions au nouveau courtier. Les donneurs d’assurance versent ainsi les quatre commissions au nouveau courtier.
L’ancien courtier ouvre action contre le preneur d’assurance (mandant) et lui réclame le paiement de quatre commissions. Le tribunal de première instance rejette la demande. Sur recours, le tribunal de deuxième instance donne raison au courtier et condamne le preneur d’assurance au paiement des quatre commissions. En substance, le tribunal de seconde instance considère que le courtier dispose d’une action en paiement des commissions fondée sur le contrat de courtage à l’encontre du preneur d’assurance.
Le preneur d’assurance forme un recours en matière civile auprès du Tribunal fédéral. Celui-ci doit se prononcer sur la question de savoir si le courtier qui ne peut pas obtenir de commission auprès des donneurs d’assurance, compte tenu du fait que le preneur d’assurance a résilié le contrat de courtage, dispose d’une action en paiement des commissions auprès du preneur d’assurance.
Droit
Le Tribunal fédéral retient tout d’abord que les trois parties – courtier, preneur d’assurance et donneurs d’assurance – sont liées par trois contrats connexes : un contrat de courtage lie le courtier au preneur d’assurance, un contrat d’assurance lie le preneur au donneur d’assurance et une convention de commission lie le courtier au donneur d’assurance. Selon la convention de commission, le donneur d’assurance s’engage à payer une commission au courtier, commission qui représente la seule rémunération du courtier.
Le Tribunal fédéral mentionne l’ATF 124 III 481, JdT 1999 I 455, dont l’état de fait se rapproche de l’affaire ici commentée. Dans cet arrêt, un courtier – qui a vu son contrat de courtage résilié par le preneur d’assurance – reprochait à un donneur d’assurance de ne pas lui avoir versé les commissions relatives aux contrats conclus et d’avoir ainsi violé la convention de commission. Le donneur d’assurance considérait que la convention de commission était nulle, dans la mesure où le preneur d’assurance avait résilié le contrat de courtage qui le liait au courtier. Le Tribunal fédéral a donné raison au donneur d’assurance. Contrairement à la position du courtier, il a retenu que le contrat qui liait le courtier au donneur d’assurance n’était pas un contrat de courtage, dans la mesure où le contrat de courtage suppose que le courtier serve les intérêts du mandant. Or, dans la situation du cas d’espèce, le courtier ne sert pas les intérêts du donneur d’assurance, mais bien ceux du preneur d’assurance. Le donneur d’assurance ne fait que s’engager à payer une commission au courtier. Le Tribunal fédéral considère que cet engagement n’est pas indépendant du contrat de courtage, de sorte qu’il suit le sort du contrat de courtage. Ainsi, si le contrat de courtage est résilié ou prend fin, la convention de commission tombe. En l’espèce, le courtier ne pouvait donc pas rechercher les donneurs d’assurance en paiement des commissions.
Le Tribunal fédéral rappelle qu’une partie de la doctrine – à laquelle le tribunal de seconde instance s’est joint – considère que, dans une telle construction juridique, le fondement de la rémunération du courtier ne réside pas dans la convention de commission qui lie le courtier au donneur d’assurance, mais bien dans le contrat de courtage qui lie le courtier au preneur d’assurance (mandant). Selon cette position, avec la convention de commission, le donneur d’assurance ne fait que reprendre la dette du preneur d’assurance envers le courtier (cf. art. 175 CO). Par le biais d’une promesse de porte-fort (cf. art. 112 CO), le donneur d’assurance s’engage auprès du preneur d’assurance dans le contrat d’assurance à reprendre la dette du preneur d’assurance à l’égard du courtier. Ainsi, le courtier dispose d’une action en paiement des commissions auprès du preneur d’assurance (mandant), avec qui il est lié par le contrat de courtage. Une autre partie de la doctrine considère que le fondement de la rémunération du courtier réside dans la convention de commission entre le courtier et le donneur d’assurance, de sorte que le courtier ne dispose pas d’action en paiement à l’encontre du preneur d’assurance, avec qui il est pourtant lié par un contrat de courtage.
Le Tribunal fédéral donne raison aux auteurs qui considèrent que le fondement de la rémunération du courtier réside dans la convention de commission qui lie le courtier au donneur d’assurance. Il rejette ainsi la construction – soutenue notamment par le tribunal de deuxième instance – selon laquelle le donneur d’assurance ne ferait que reprendre une dette du preneur d’assurance (mandant) et que la rémunération du courtier se fonderait sur le contrat de courtage qui le lierait au preneur d’assurance (mandant).
Le Tribunal fédéral retient que dans une telle construction, le courtier et le mandant (preneur d’assurance) s’accordent sur le fait que la rémunération du courtier ne serait pas effectuée par le mandant (preneur d’assurance), mais par un tiers (donneur d’assurance). Selon le Tribunal fédéral, un tel accord signifie que le courtier renonce à toute prétention directe en rémunération à l’encontre du mandant (preneur d’assurance). Si les parties avaient voulu que le mandant (preneur d’assurance) soit aussi tenu de payer la rémunération du courtier – en parallèle du tiers (donneur d’assurance) –, elles auraient dû prévoir une clause qui disposait que « le mandant s’engage à verser une commission au courtier pour le travail effectué. Le mandant est toutefois libéré du versement de la commission si le donneur d’assurance verse la commission au courtier ».
Ainsi, le Tribunal fédéral retient que, dans une telle construction juridique, le courtier ne dispose pas d’une prétention en paiement d’une rémunération à l’encontre du preneur d’assurance (mandant), dans la mesure où les parties ont renoncé à une telle prétention dans le contrat et ont prévu que le courtier devait obtenir une rémunération auprès du donneur d’assurance.
Le Tribunal fédéral casse ainsi la décision du tribunal de deuxième instance et retient que le courtier ne dispose pas d’une prétention en paiement des commissions à l’encontre du preneur d’assurance (mandant).
Proposition de citation : Alborz Tolou, La prétention du courtier en rémunération à l’encontre d’un preneur d’assurance, in: https://lawinside.ch/317/