La perquisition et le droit de ne pas s’auto-incriminer
ATF 142 IV 207 – TF, 30.05.2016, 1B_249/2015*
Faits
Le Ministère public de la Confédération (MPC) ouvre une enquête pénale contre UBS pour blanchiment d’argent (art. 305bis cum 102 al. 2 CP). La banque est soupçonnée de ne pas avoir pris toutes les mesures organisationnelles nécessaires afin d’empêcher le paiement par un de ses clients de sommes destinées à corrompre un haut fonctionnaire d’Etat malaisien.
Suite au refus de la banque de remettre certains documents en lien avec cette affaire, le MPC procède à une perquisition. À cette occasion, le MPC met en sûreté un mémorandum que la banque avait rédigé à l’attention de la FINMA. Sur requête d’UBS, les documents sont mis sous scellés. La demande de levée des scellés du MPC est rejetée par le Tribunal des mesures de contraintes bernois (TMC) au motif que le principe nemo tenetur serait violé. Le MPC interjette recours au Tribunal fédéral afin d’obtenir la levée des scellés du mémorandum. Il se pose ainsi en particulier la question de la portée de l’interdiction de s’auto-incriminer en rapport avec la perquisition et le séquestre de documents.
Droit
Le TMC, saisi d’une demande de levée des scellés, doit déterminer, d’une part, si les conditions générales de l’art. 197 CPP sont satisfaites et, d’autre part, s’il existe des motifs liés à la protection de secrets empêchant la perquisition (cf. art. 248 al. 1 CPP). Il n’appartient toutefois pas au TMC, en principe, de déterminer si des moyens de preuves sont exploitables ou non au sens des art. 140–141 CPP.
L’art. 197 CPP dispose que les mesures de contrainte ne peuvent être prises que si elles sont prévues par la loi (let. a), que des soupçons suffisants existent (let. b) et que le principe de proportionnalité est respecté (let. c et d).
Les art. 246 ss CPP règlent la perquisition de documents et enregistrements ; cette mesure est donc prévue par la loi. S’agissant des soupçons, ils doivent être concrets et importants pour être qualifiés de suffisants. En l’espèce, le Tribunal fédéral retient que de tels soupçons existent. Il précise également que le mémorandum mis en sûreté est pertinent pour l’enquête en cours : le document résume le contenu de divers documents bancaires et vise à démontrer que la banque a pris toutes les mesures de diligence qui s’imposaient dans le cadre du paiement ayant donné lieu à l’enquête pénale. Dans ce contexte, le Tribunal fédéral rappelle les différentes obligations qui incombent aux intermédiaires financiers en matière de blanchiment d’argent, dont en particulier celle d’établir et de conserver toute la documentation relative aux transactions financières (art. 7 LBA). Quant à la proportionnalité, elle est également donnée en l’espèce puisque l’enquête en cours peut avoir des répercussions sur la renommée de la place financière suisse dans son ensemble. De plus, d’autres mesures probatoires moins incisives ne sont pas envisageables, en particulier vue la complexité des transactions financières en jeu. Il s’ensuit que les conditions générales de l’art. 197 CPP sont réalisées.
Reste à examiner si le droit de ne pas s’auto-incriminer s’oppose à la levée des scellés. Aux termes de l’art. 248 al. 1 CPP, les documents, enregistrements et autres objets qui ne peuvent être ni perquisitionnés ni séquestrés parce que l’intéressé fait valoir son droit de refuser de déposer ou de témoigner ou pour d’autres motifs sont mis sous scellés et ne peuvent être ni examinés ni exploités par les autorités pénales. L’art. 264 CPP énonce les documents qui ne peuvent pas être séquestrés.
Le prévenu a le droit de ne pas s’auto-incriminer et peut de ce fait refuser de déposer et de collaborer. Il est toutefois tenu de se soumettre aux mesures de contrainte prévues par la loi (art. 113 al. 1 CPP). Le principe nemo tenetur se ipsum accusare est également consacré au niveau conventionnel (art. 14 ch. 3 let. g Pacte ONU II, 6 § 1 CEDH). Il fait interdiction à l’autorité pénale d’exploiter tout moyen de preuve obtenu par la contrainte ou la menace en violation de la volonté du prévenu. En revanche, le fait de recueillir des moyens de preuve par l’emploi de mesures de contraintes prévues par la loi est admis (il ne s’agit alors que d’un Dulden). De même, l’autorité (pénale ou administrative) peut demander que des documents lui soient remis, pour autant que la demande n’ait pas lieu sous la menace d’une sanction (cf. art. 265 al. 2 et 3 CPP).
Le droit de ne pas s’incriminer vaut également pour les personnes morales. Néanmoins, dans ce cas, le principe est appliqué restrictivement afin de permettre aux autorités pénales et administratives d’avoir accès à la documentation que les entreprises doivent tenir de par la loi, en particulier dans le secteur bancaire et de l’intermédiation financière. De manière plus générale, le Tribunal fédéral rappelle que le droit de ne pas s’auto-incriminer ne vaut pas de manière absolue, ce d’autant plus que lorsque la personne morale est prévenue. Dans ce dernier cas, on doit peser l’intérêt public à la poursuite pénale avec l’intérêt privé du prévenu au respect de ses garanties procédurales.
En l’espèce, le Tribunal fédéral constate que les art. 113 al. 1 3ème phr. CPP et 7 al. 2 LBA ont pour effet de réserver du champ d’application de l’interdiction de s’auto-incriminer le séquestre pénal de tous les documents que les banques sont légalement tenues de conserver. Or, le mémorandum mis en sûreté a été établi par UBS dans l’accomplissement de ses obligations légales en matière de surveillance financière. Ainsi, le droit de ne pas s’auto-incriminer ne s’oppose pas au séquestre de ce document. Enfin, le mémorandum ne tombe sous aucune des catégories de documents de l’art. 264 al. 1 CPP (prévues de manière exhaustive pour le prévenu), de sorte que cette disposition n’empêche pas non plus le séquestre en l’espèce.
En résumé, la perquisition ordonnée par le MPC est conforme aux conditions générales de l’art. 197 CPP. Aucun motif excluant le séquestre n’existant en l’espèce, la levée des scellés est prononcée et le mémorandum que UBS a établi à l’attention de la FINMA est remis au MPC.
Note
Le Tribunal fédéral se penche sur l’épineuse problématique des procédures parallèles (procédure administrative et procédure pénale) en relation avec le droit de ne pas s’auto-incriminer. Alors qu’en procédure administrative l’obligation de collaborer de l’administré (art. 13 PA) prévaut, la procédure pénale est gouvernée par le principe de nemo tenetur (art. 113 CPP). Conformément à la décision du Tribunal fédéral, on peut désormais retenir que, lorsqu’une banque est prévenue, les autorités pénales peuvent séquestrer la documentation établie par la banque dans l’accomplissement de ses obligations légales, y compris dans ses relations avec la FINMA.
Il reste à relever que, dans la présente affaire, le MPC a d’abord demandé à la FINMA de lui remettre le mémorandum établi par UBS par voie d’entraide (cf. art. 38 LFINMA). La FINMA n’a pas donné suite à cette demande en argumentant que la transmission du mémorandum allait à l’encontre de la « sehr hohen Kooperationsbereitschaft » qu’elle s’attend de la banque dans le cadre de la surveillance, et que dès lors la transmission aurait porté atteinte à cette collaboration en rendant la mission de la FINMA notablement plus difficile ; dans un obiter dictum (c. 8.15), le Tribunal fédéral regrette cette manière de procéder en rappelant que seuls les motifs prévus à l’art. 40 LFINMA permettent à la FINMA de refuser de collaborer avec les autorités pénales.
Proposition de citation : Simone Schürch, La perquisition et le droit de ne pas s’auto-incriminer, in: https://lawinside.ch/268/
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