L’égalité des sexes en matière salariale (art. 8 al. 3 Cst.)
ATF 142 II 49 – TF, 24.03.2016, 8C_376/2015*
Faits
La recourante a occupé le poste de directrice de l’office du personnel du canton. Initialement colloquée en classe 6, niveau d’expérience 4, elle bénéficia ensuite d’un traitement de classe 5, niveau d’expérience 6. Une promotion en classe 4 fut alors fixée comme objectif à moyen terme. Par la suite, les parties convinrent de mettre un terme aux rapports de travail, la recourante fut immédiatement libérée de son obligation de travailler et reçut une indemnité de départ ainsi qu’une prime de prestation.
Suite à un différend entre les parties au sujet du salaire pendant les rapports de service, le Conseil d’Etat, sur demande de la recourante, constata par décision que le canton n’avait pas discriminé la recourante et ne lui verserait en conséquence aucun arriéré de salaire. Après une tentative infructueuse de conciliation, puis le rejet de son recours par le Tribunal cantonal, la recourante recourt maintenant au Tribunal fédéral. Ce dernier doit déterminer si le Tribunal cantonal aurait dû reconnaître une discrimination salariale fondée sur le sexe à l’encontre de la recourante.
Droit
L’art. 8 al. 3 Cst. impose d’octroyer à l’homme et à la femme un salaire égal pour un travail de valeur égale (cf. ég. art. 3 al. 3 LEg). La question de savoir si une rémunération représente une discrimination fondée sur le sexe dépend, d’une part, des faits (montant de la rémunération, de la différence de rémunération, formation, âge et autres critères invoqués pour justifier la rémunération) et, d’autre part, de la légalité des critères d’appréciation et de différenciation. Une telle discrimination peut résulter du classement général de certaines fonctions, comme du salaire concret d’une personne en comparaison avec celui de personnes de l’autre sexe.
L’existence d’une telle discrimination est présumée pour autant que la personne qui s’en prévaut la rende vraisemblable (art. 6 LEg). Tel est notamment le cas lorsque les personnes d’un sexe reçoivent une rémunération significativement plus basse (environ 15 à 25%) que les personnes de l’autre sexe pour un travail de même valeur. Une fois la discrimination rendue vraisemblable, il revient à l’employeur de prouver que la différence de rémunération est fondée sur des critères objectifs, tels que les raisons qui peuvent influencer la valeur du travail (formation, années de service, qualification, expérience, prestation, risques), les raisons qui prennent compte de facteurs sociaux (charge familiale, âge) et enfin les facteurs externes (situation conjoncturelle). Il ne suffit pas de donner n’importe quel motif pour justifier une différence de traitement. Au contraire, les motifs doivent être pertinents pour le travail concret. Ainsi, une meilleure formation peut être un critère de distinction, pour autant que cette formation soit requise pour le poste ou utile pour le travail à accomplir.
En l’espèce, les salaires initiaux et finaux de la recourante et de son prédécesseur différaient respectivement d’environ 8.6% et 40% en faveur du prédécesseur. En outre, la rémunération initiale du successeur de la recourante était d’environ 26% plus élevée. Dans les deux cas, une discrimination apparaît ainsi vraisemblable, ce qui impose à l’autorité judiciaire d’examiner la justification de ces différences salariales.
S’agissant de la comparaison avec la rémunération du prédécesseur de la recourante, le Tribunal fédéral constate que celui-ci fut initialement colloqué à la même classe que la recourante, à un niveau d’expérience d’un échelon plus élevé. Cette distinction était justifiée par la formation de juriste du prédécesseur, offrant une véritable plus-value pour l’exercice de la fonction. La recourante avait pour sa part accompli un apprentissage et était titulaire d’un diplôme d’une haute école. Le passage du prédécesseur en classe 5, puis 4, avait ensuite été justifié par l’évolution de la fonction et la nomination de l’employé comme chef du projet de révision du droit cantonal de la fonction publique. En outre, les connaissances spécifiques de l’employé et le projet en cours justifiaient de le garder au moins jusqu’à la fin du projet, afin de ne pas mettre en danger celui-ci. Pour cette raison, l’employeur lui avait accordé une prime personnelle de 5%, conformément à une disposition cantonale autorisant ce genre de primes afin d’engager ou de conserver des collaborateurs particulièrement qualifiés. La recourante ne remplissait pour sa part pas les conditions d’une telle prime. Enfin, le Tribunal fédéral souligne que la recourante bénéficia d’une promotion en classe 5 deux ans plus tôt que son prédécesseur, ce qui plaide contre une discrimination salariale fondée sur le sexe.
Le successeur de la recourante, pour sa part, fut initialement colloqué en classe 5, niveau d’expérience 10 et obtint dès son engagement une prime de 6.5%. Selon le Tribunal fédéral, la collocation en classe 5 et non en classe 6 se justifie par la nouvelle évaluation des fonctions qui place la fonction de directeur/directrice du personnel de la classe 5 à la classe 4. En outre, le classement en niveau d’expérience 10 était justifié par l’expérience professionnelle plus importante (18 ans à une fonction dirigeante) et plus variée (quatre employeurs) que celle de la recourante (11 ans à une fonction dirigeante auprès du même employeur, dont 5 comme adjointe). Enfin, la nécessité de trouver rapidement un successeur et la haute qualification de l’employé justifiait de lui offrir une prime de 6.5% pour s’assurer sa disponibilité immédiate.
Dès lors, ni la différence entre les salaires initiaux et finaux de la recourante et de son prédécesseur ni celle entre les salaires de la recourante et de son successeur ne représentait une discrimination. Ainsi, l’autorité précédente n’a violé ni l’art. 8 al. 3 Cst. ni l’art. 3 al. 3 LEg en refusant de reconnaître une discrimination fondée sur le sexe à l’encontre de la recourante. Le Tribunal fédéral rejette donc le recours.
Proposition de citation : Camilla Jacquemoud, L’égalité des sexes en matière salariale (art. 8 al. 3 Cst.), in: https://lawinside.ch/229/