Le port du voile islamique à l’école
ATF 142 I 49 – TF, 11.12.2015, 2C_121/2015*
Faits
Une écolière se voit interdire le port à l’école d’un hijab, soit un voile islamique couvrant ses cheveux et son cou, en application d’un règlement communal.
L’écolière et ses parents contestent avec succès l’interdiction du port du voile devant les autorités cantonales compétentes.
Sur recours de la commune, le Tribunal fédéral est appelé à statuer sur l’admissibilité d’une interdiction du port du voile à l’école.
Droit
Le Tribunal fédéral passe en revue la jurisprudence internationale en la matière et retient que le port de symboles religieux à l’école est largement admis, si ce n’est dans les pays à tradition laïque et s’agissant du voile intégral. Pour sa part, le Tribunal fédéral n’a encore jamais tranché la question au fond.
Le port de signes ou vêtements religieux est protégé par la liberté de conscience et croyance (art. 15 Cst. féd., art. 9 CEDH). En tant que titulaire de tâches publiques, la commune est tenue de respecter les droits fondamentaux et de contribuer à leur réalisation (art. 35 al. 2 Cst. féd.). L’interdiction du port du hijab constitue ainsi une atteinte à la liberté religieuse de l’écolière. Partant, il sied d’examiner si cette atteinte satisfait aux conditions de l’art. 36 Cst. féd. Elle doit ainsi être (1) prévue par une base légale suffisante, (2) justifiée par un intérêt public ou par la protection d’un droit fondamental d’autrui, et (3) proportionnée, étant précisé que l’interdiction du port du voile ne porte en tout état pas atteinte au noyau inviolable de la liberté religieuse.
S’agissant de la base légale requise, une loi au sens formel doit prévoir toute atteinte grave à un droit fondamental (art. 36 al. 1 Cst féd.). Il est toutefois délicat d’évaluer la gravité objective d’une atteinte à la liberté religieuse. Il suffit dès lors que la personne touchée expose de manière substantivée et convaincante dans quelle mesure l’atteinte est grave. En l’espèce, l’écolière et ses parents exposent que l’interdiction du port du voile met en tension les obligations scolaires et religieuses de l’enfant et qu’elle a un impact significatif sur le quotidien de celle-ci au regard du temps passé à l’école. L’atteinte doit ainsi être qualifiée de grave. Elle doit donc être prévue par une loi au sens formel. En l’espèce, le règlement communal constitue une loi au sens formel, dès lors qu’il a été soumis au référendum facultatif. Partant, il satisfait à l’exigence d’une base légale suffisante.
En ce qui concerne la justification de l’atteinte, la commune invoque le respect de la neutralité confessionnelle de l’Etat, le besoin d’ordre au sein de l’école, la liberté de conscience et croyance négative des camarades de classe de l’écolière, soit leur droit à ne pas être confrontés à une religion qui leur est étrangère, ainsi que le devoir de l’Etat de promouvoir l’égalité des sexes. Selon le Tribunal fédéral, en tant qu’intérêts publics ou de droits fondamentaux de tiers, ces intérêts sont aptes à justifier une atteinte à la liberté religieuse de l’écolière.
Il faut cependant encore que l’atteinte soit proportionnée. S’il est exact que les professeurs peuvent se voir interdire le port de symboles religieux en vertu de la neutralité confessionnelle de l’Etat (cf. ATF 123 I 296), la situation des élèves est différente. En effet, admettre le port du voile par une écolière n’a pas pour effet d’identifier l’école ou l’Etat à la religion concernée et ne porte de ce fait pas atteinte à la neutralité confessionnelle de l’école. Quant au besoin d’ordre au sein de l’école, le port du hijab, soit un voile ne masquant pas le visage, n’entrave pas la mission d’enseignement de l’école. Les camarades d’école de la jeune fille concernée ont certes le droit (négatif) de ne pas être forcés à participer à une activité religieuse. Le simple port de symboles religieux par autrui ne porte toutefois pas atteinte à cette liberté. Aussi, l’Etat est tenu de promouvoir l’égalité des sexes non seulement sur le plan juridique, mais également dans les faits. Les raisons pour lesquelles les femmes musulmanes portent les voiles sont toutefois très variées. Le port du voile ne procède pas nécessairement d’une obligation imposée par les hommes de la communauté ni d’une vision patriarcale de la société, lesquelles s’avéreraient contraire à l’égalité des sexes, mais peut être motivé par la volonté librement formée de la femme concernée de manifester ses convictions religieuses ou son identité culturelle. Partant, le port du voile ne viole pas en tant que tel l’égalité homme-femme. Au demeurant, rien ne laisse en l’espèce supposer que l’écolière serait obligée par son père à porter le hijab. De plus, il sied de souligner que la promotion de l’égalité des sexes commande précisément de faciliter l’accès à l’enseignement par les jeunes musulmanes. Partant, l’interdiction du port du voile n’est pas nécessaire pour réaliser l’égalité entre hommes et femmes.
Au regard de ce qui précède, l’interdiction du port du voile dans une école publique s’avère disproportionnée. Elle est donc contraire à l’art. 15 Cst. Le Tribunal fédéral confirme ainsi la décision attaquée, qui invalidait le règlement communal, et rejette le recours de la commune.
Proposition de citation : Emilie Jacot-Guillarmod, Le port du voile islamique à l’école, in: https://lawinside.ch/222/