La renonciation à recourir contre une sentence arbitrale et la CEDH
CourEDH, 24.03.16, Noureddine Tabbane c. Suisse (no 41069/12)
Faits
Un litige survient entre Noureddine Tabbane et la société Colgate à l’occasion de l’exécution de leur partenariat commercial. Conformément à une clause d’arbitrage, Colgate introduit une requête devant un tribunal arbitral, dont le siège se trouve à Genève. Celui-ci condamne Tabbane à rendre ses actions à Colgate. Tabbane dépose un recours en matière civile devant le Tribunal fédéral qui se déclare incompétent en raison du fait que les parties avaient valablement renoncé à recourir contre toute décision du tribunal arbitral (art. 192 LDIP).
Tabbane saisit alors la CourEDH en soutenant que l’art. 192 LDIP viole la CEDH.
Droit
La CourEDH rappelle que les parties peuvent renoncer aux garanties de l’art. 6 par. 1 CEDH (accès à un tribunal indépendant et impartial établi par la loi) par une clause d’arbitrage pour autant qu’elles le fassent de manière libre, licite et sans équivoque. En l’espèce, le requérant ne prétend pas avoir signé la clause arbitrale et la renonciation à recourir contre la sentence arbitrale sous la contrainte. De même, la Cour relève que le Tribunal fédéral a conclu que la renonciation aux tribunaux ordinaires était licite et sans équivoque.
La Cour examine ensuite la question de savoir si les parties peuvent non seulement conclure une clause d’arbitrage, mais en plus renoncer à recourir contre la sentence arbitrale conformément à l’art. 192 LDIP. En vertu de cette disposition, « si deux parties n’ont ni domicile, ni résidence habituelle, ni établissement en Suisse, elles peuvent, par une déclaration expresse dans la convention d’arbitrage ou un accord écrit ultérieur, exclure tout recours contre les sentences du tribunal arbitral ». La CourEDH estime que la renonciation à recourir contre les sentences arbitrales constitue une restriction au droit d’accès à un tribunal qui doit être justifiée par un intérêt légitime et respecter la proportionnalité.
En l’espèce, la Cour relève que l’art. 192 LDIP vise à augmenter l’attractivité et l’efficacité de l’arbitrage international en Suisse. Il permet ainsi d’éviter que la sentence soit soumise au double contrôle de l’autorité de recours et du juge de l’exécution, ce dernier devant de toute façon examiner la conformité de la sentence arbitrale au regard de la Convention de New York pour la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales étrangères. En outre, la renonciation à recourir permet de décharger le Tribunal fédéral et renforce la liberté contractuelle. Partant, la CourEDH considère que l’art. 192 LDIP poursuit un intérêt légitime. En ce qui concerne la proportionnalité, la CourEDH souligne que les parties qui n’ont ni domicile ou établissement en Suisse ne sont pas obligées de renoncer à recourir contre une sentence arbitrale ; ils ont simplement la possibilité de le faire. Un tel système respecte la proportionnalité par rapport au but visé.
Par conséquent, la Cour constate que la restriction au droit d’accès à un tribunal a été valablement conclue par les parties, qu’elle poursuivait un intérêt légitime et qu’elle était proportionnée. Dès lors, la renonciation à recourir de l’art. 192 LDIP est compatible avec l’art. 6 CEDH.
Proposition de citation : Julien Francey, La renonciation à recourir contre une sentence arbitrale et la CEDH, in: https://lawinside.ch/212/