La suppression de l’indemnité forfaitaire en cas d’abandon de poste injustifié (art. 337d al. 2 CO)
L’art. 337d al. 2 CO permet au·à la juge de supprimer toute indemnité forfaitaire en cas d’abandon de poste injustifié de l’employé lorsque l’employeur ne subit aucun dommage.
Faits
Un médecin engage une assistante médicale à 100% à compter du 1er septembre 2019. Le salaire mensuel brut est de CHF 4’750, versé treize fois l’an. Le contrat prévoit également des pauses en milieu de journée, dont la durée varie d’au moins un quart d’heure pour une journée de travail de plus de cinq heures à une heure pour une journée de travail de plus de neuf heures.
L’employée effectue ses heures de travail sur quatre jours. Très régulièrement, ses pauses de midi ne sont pas respectées, ce dont l’employeur est conscient puisqu’il prend ses propres pauses au centre médical avec ses employées.
Le médecin fait fréquemment des allusions à caractère sexuel à ses employées. Ainsi, pour encourager leurs amis à effectuer plus de tâches ménagères, il leur a conseillé de les remercier « chaleureusement ». Lorsque l’assistante médicale a commis une petite erreur, il lui a déclaré « Ah vous voulez la fessée ! ». À une autre occasion, il lui a demandé si elle voulait une fessée « tout de suite ou immédiatement ». Une autre fois encore, il lui a proposé de s’asseoir sur ses genoux pendant qu’elle se servait de l’ordinateur dont il avait besoin. Pour Noël, il a offert à ses employées des bons d’achat pour de la lingerie.
L’employée est plusieurs fois en incapacité de travail à 100% entre le 7 octobre 2020 et le 31 août 2021. Le 7 juin 2021, lorsqu’elle envoie un certificat médical à son employeur valable jusqu’au 21 juin 2021, le médecin se réfère à l’échelle de Berne et lui répond qu’un seul mois d’absence lui est dû par an d’ancienneté. Le lendemain, il annule les vacances de l’employée, prévues du 28 juin au 4 juillet.
Sur demande de l’employeur, le père de l’assistante médicale lui rend ses clés. Celle-ci ne veut en effet plus voir le médecin. Par courrier du 25 juin, reçu le 28, l’employée résilie son contrat de travail avec effet immédiat.
Suite à l’échec de la conciliation, l’employée ouvre action contre le médecin et sa société fondée après la conclusion du contrat de travail. Elle réclame le paiement d’une somme brute de CHF 27’424.65 pour le règlement des rapports de travail et d’une somme nette de CHF 2’000 à titre d’indemnité en raison du harcèlement sexuel subi.
Le Tribunal des prud’hommes de l’arrondissement de l’Est vaudois rejette les conclusions de l’employée en tant qu’elles sont dirigées contre la société. Il condamne le médecin au paiement de CHF 11’104.20 bruts, ainsi que de CHF 500 nets. La Cour d’appel civile du Tribunal cantonal vaudois réforme le jugement et condamne le médecin au paiement de CHF 7’128.35 bruts et CHF 2’000 nets.
Le médecin et sa société saisissent le Tribunal fédéral, qui doit se prononcer sur (i) les conséquences de l’abandon de poste au sens de l’art. 337d CO et (ii) l’indemnité en raison du harcèlement sexuel subi.
Droit
Le recours de la société est irrecevable, celle-ci n’ayant été condamnée ni en première ni en deuxième instance (art. 76 al. 1 lit. b LTF).
Le médecin fait en particulier valoir que la Cour cantonale aurait violé l’art. 337d CO en rejetant sa prétention au titre de dommages-intérêts pour les conséquences du congé immédiat injustifié donné par l’employée. À ce titre, il se prévaut également de l’ATF 118 II 277, en prétendant à une indemnité forfaitaire sans devoir apporter la preuve d’un dommage.
Selon l’art. 337d al. 1 CO, lorsque le travailleur n’entre pas en service ou abandonne son emploi sans justes motifs, l’employeur a droit à une indemnité égale au quart du salaire mensuel ; il a en outre droit à la réparation du dommage supplémentaire. Le ou la juge peut réduire l’indemnité selon sa libre appréciation si l’employeur ne subit aucun dommage ou si le dommage est inférieur à l’indemnité prévue à l’art. 337d al. 1 CO (art. 337d al. 2 CO). En prévoyant une indemnité forfaitaire, le législateur a tenu compte du fait qu’en cas de départ injustifié de l’employé, la preuve du dommage est souvent difficile à apporter pour l’employeur (ATF 118 II 312 consid. 2a).
L’assistante médicale a abandonné son emploi en signifiant son congé immédiat de façon injustifiée. Les faits de harcèlement sexuel qu’elle avait subis ne suffisaient pas à justifier une résiliation immédiate. Cependant, la loi ne prévoit pas le paiement d’une indemnité en l’absence de tout dommage subi par l’employeur. La faculté de réduire le montant alloué en vertu de l’art. 337d al. 2 CO permet au juge de supprimer toute indemnité forfaitaire.
À cet effet, il faut démontrer que l’employeur a omis de prendre immédiatement les dispositions nécessaires pour empêcher ou réduire le dommage (Message du Conseil fédéral concernant la révision des titres dixième et dixième bis du Code des obligations [Du contrat de travail] du 25 août 1967, FF 1967 II, p. 401).
En l’espèce, la Cour cantonale a retenu, au stade de la constatation des faits et sans arbitraire, que le médecin n’avait subi aucun dommage du fait du départ de son assistante. Le 28 juin, lorsqu’elle a démissionné, elle était en incapacité de travail depuis trois semaines. Le médecin devait donc déjà avoir pris les mesures organisationnelles en conséquence. C’est à raison que la Cour cantonale a supprimé l’indemnité forfaitaire.
Se pose enfin la question de l’indemnité pour tort moral. Selon l’art. 328 al. 1 CO, l’employeur protège et respecte, dans les rapports de travail, la personnalité du travailleur […] En particulier, il veille à ce que les travailleurs ne soient pas harcelés sexuellement et qu’ils ne soient pas, le cas échéant, désavantagés en raison de tels actes. En cas de violation de cette disposition, l’employé a droit à la réparation du préjudice subi, mais aussi à une indemnité pour tort moral aux conditions de l’art. 49 al. 1 CO.
En l’espèce, la Cour cantonale a retenu plusieurs actes constitutifs de harcèlement sexuel. Ceux-ci ont été commis par l’employeur lui-même, qui n’a donc pas pris de mesures pour rétablir la situation. La Cour cantonale a fixé l’indemnité à CHF 2’000, ce qui constitue un peu moins du tiers du salaire mensuel médian, sans méconnaître les règles en matière de libre appréciation.
Le Tribunal fédéral rejette le recours du médecin.
Proposition de citation : Camille de Salis, La suppression de l’indemnité forfaitaire en cas d’abandon de poste injustifié (art. 337d al. 2 CO), in: https://lawinside.ch/1607/