Le droit au mariage en l’absence de titre de séjour des deux fiancés
Un refus général de délivrer des autorisations de séjour de courte durée en vue du mariage lorsque les fiancés sont tous deux dépourvus de titres de séjour porte atteinte à la substance du droit au mariage (art. 14 Cst. ; art. 12 CEDH). Dans certaines circonstances exceptionnelles, il convient d’octroyer les autorisations, même si les mariés n’auront pas le droit de demeurer en Suisse par la suite.
Faits
Deux ressortissants du Sénégal, nés en 1984 et 1986, indiquent être arrivés en Suisse en 2007 et 2012 respectivement. Ils ont quatre enfants, nés entre 2014 et 2023, les trois premiers étant scolarisés en Suisse.
En janvier 2019, la mère dépose auprès de l’Office cantonal de la population et des migrations de Genève une demande d’autorisation de séjour pour raisons humanitaires pour elle et ses deux premiers enfants, les deux plus jeunes n’étant pas encore nés. En mars 2022, le père dépose également une demande d’autorisation de séjour.
Un an plus tard, l’Office cantonal refuse les demandes et prononce le renvoi de Suisse des parents et des enfants, sur la base de condamnations pénales, en particulier pour entrée illégale et exercice d’une activité lucrative sans autorisation. Le Tribunal administratif de première instance genevois (TAPI) rejette les recours des parents en novembre 2023.
En septembre 2023, les parents demandent à l’Office cantonal de leur délivrer des autorisations de séjour en vue de leur mariage. Face au refus de l’Office cantonal, ils recourent sans succès auprès du TAPI. Contre les deux jugements du TAPI, agissant également pour leurs enfants, ils saisissent la Chambre administrative de la Cour de justice genevoise. Celle-ci-joint les causes et rejette les recours.
Les intéressés déposent un recours en matière de droit public et un recours constitutionnel subsidiaire auprès du Tribunal fédéral. Ce dernier est amené à se prononcer sur la question de savoir si le cas des parents recourants justifie l’octroi d’autorisations de séjour de courte durée afin de concrétiser leur mariage en Suisse, indépendamment de leur droit d’y demeurer par la suite.
Droit
Le recours en matière de droit public est irrecevable en tant qu’il concerne la confirmation du refus de délivrer des autorisations de séjour à la famille (art. 83 lit. c LTF), de même que le recours constitutionnel subsidiaire sur cette question.
Toutefois, le recours en matière de droit public est ouvert s’agissant du second objet du litige, soit la confirmation du refus d’octroyer des autorisations de courte durée aux parents en vue de leur mariage. En effet, ils font valoir un droit potentiel à une autorisation de courte durée, dans la mesure où ils se trouvent dans une situation qui justifie une tolérance de leur séjour pour garantir la substance du droit au mariage découlant des art. 14 Cst. et 12 CEDH (art. 83 lit. c ch. 2 LTF).
Selon l’art. 14 Cst., le droit au mariage et à la famille est garanti. L’art. 12 CEDH garantit à toute personne le droit de se marier et de fonder une famille à partir de l’âge nubile selon les lois nationales régissant l’exercice de ce droit. Ce droit n’est pas lié à la qualité de citoyen·ne d’une personne physique majeure, mais lui appartient quelle que soit sa nationalité ou sa religion.
Les limitations en la matière en droit national ne doivent ni restreindre ni réduire le droit au mariage d’une manière ou à un degré qui l’atteindraient dans sa substance même. Ainsi, dans l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme O’Donoghue et autres c. Royaume-Uni, le régime juridique attaqué, qui interdit sans exception aux personnes étrangères sans titre de séjour de se marier, viole l’art. 12 CEDH. En effet, le droit au mariage ne peut pas être restreint de manière générale, automatique et indifférenciée pour une catégorie de personnes.
En droit national, l’art. 98 al. 4 CC dispose que les fiancés qui ne sont pas citoyens suisses doivent établir la légalité de leur séjour en Suisse au cours de la procédure préparatoire. Si ce n’est pas le cas, l’officier d’état civil ne peut que refuser la célébration du mariage (art. 67 al. 3 OEC). Le but de cette disposition est en particulier d’empêcher la célébration de mariages fictifs. Susceptible d’être contraire à l’art. 12 CEDH, l’art. 98 al. 4 CC peut cependant être appliqué d’une manière conforme au droit constitutionnel et conventionnel (ATF 138 I 41 c. 4).
S’agissant du cas particulier dans lequel la personne étrangère ne pourra pas, y compris après son mariage, être admise à séjourner en Suisse, l’autorité de police des étrangers doit en principe refuser de lui délivrer une autorisation de courte durée en vue du mariage. Cependant, lorsqu’une décision contraire ne permettrait pas de garantir la substance du droit au mariage, il convient d’octroyer l’autorisation requise.
La Cour de justice a omis de se pencher sur ce dernier aspect et d’examiner si la substance du droit au mariage était atteinte par le refus d’octroyer les autorisations de courte durée. Or, c’est bien le cas, dans la mesure où la problématique du mariage fictif ne se pose pas en l’espèce. En effet, ni l’un ni l’autre des fiancés ne dispose d’un droit de demeurer en Suisse, ni n’en disposera ensuite du mariage. Sans autre motif justifiant cette limitation dans le cas d’espèce, la substance du droit au mariage a été atteinte.
Le Tribunal fédéral admet donc le recours s’agissant des autorisations de séjour de courte durée en vue du mariage.
Proposition de citation : Camille de Salis, Le droit au mariage en l’absence de titre de séjour des deux fiancés, in: https://lawinside.ch/1598/