La portée des obligations positives de l’État en matière de violences à l’égard des femmes

CourEDH, 03.04.2025, Affaire N.D. c. Suisse, requête no 56114/18

L’art. 2 CEDH met à charge des États parties à la Convention une obligation positive de prendre des mesures d’ordre pratique afin de protéger la vie d’un individu de comportements criminels d’autrui. Lorsque sont en cause des violences à l’égard des femmes ou des violences domestiques, l’État a à sa charge une obligation de prévention efficace qui inclut une évaluation du risque de létalité autonome, proactive et exhaustive.

Faits

Un individu est condamné en 1995 à 12 ans de peine privative de liberté pour meurtre et viol de sa compagne. Il est libéré en 2001. En 2006, il est placé en détention préventive dans le cadre d’une procédure pénale ouverte pour menace et contrainte à l’égard de sa nouvelle compagne. Dans ce cadre, une expertise psychiatrique, établie en vue d’une libération, constate que le prévenu risque de commettre des actes de violence grave lors de situations de rupture avec les personnes avec lesquelles il a entretenu des relations intimes. En octobre 2006, le prévenu est remis en liberté sous conditions.

En novembre 2006, le prévenu entame une nouvelle relation avec une femme qui ignore son passé. Face à son comportement, sa nouvelle compagne envisage de mettre fin à leur relation et contacte le médecin de famille du prévenu. À la suite de cet échange, le médecin décide de contacter la police, les informant que le prévenu est une « bombe à retardement ». Un policier contacte alors la compagne et, sans l’informer du passé du prévenu, lui recommande d’être prudente et d’avertir la police si nécessaire.

En septembre 2007, la compagne du prévenu lui annonce son intention de mettre fin à leur relation. À la suite de cette annonce, le prévenu l’enlève, la séquestre durant 11 heures, la brutalise et la viole. Il est arrêté le lendemain et se suicide durant sa garde à vue. L’ex-compagne entame une procédure en responsabilité devant les autorités cantonales puis fédérales, où elle est à chaque fois déboutée. Elle saisit alors la CourEDH. La CourEDH doit déterminer si les autorités nationales ont satisfait à leur obligation positive découlant de l’art. 2 CEDH, de protéger l’intégrité physique de la requérante.

Droit

Dans certaines circonstances, l’art. 2 CEDH oblige les autorités à prendre des mesures d’ordre pratique afin de protéger la vie d’un individu de comportements criminels d’autrui. Cette obligation nait lorsqu’il est établi que les autorités savaient ou auraient dû savoir qu’un individu déterminé était menacé de manière réelle et immédiate du fait des actes criminels d’un tiers.

L’obligation positive est une obligation de moyen et non de résultat. Elle oblige uniquement l’État à prendre des mesures raisonnablement exigibles pour pallier le risque d’agissement criminel et ne doit pas revenir à imposer aux autorités nationales un fardeau insupportable ou excessif. Lorsque sont en cause des violences à l’égard des femmes ou des violences domestiques, l’obligation positive de l’État inclut une obligation de prévention efficace. Les victimes de telles violences sont des personnes vulnérables et ont le droit, pour ce motif, à la protection de l’État les mettant à l’abri de formes graves d’atteinte à l’intégrité physique. L’obligation de prévention efficace de la part de l’État inclut une évaluation du risque de létalité qui soit autonome, proactive et exhaustive.

En l’espèce, l’agresseur avait été condamné en raison de la violence récurrente exercée contre ses partenaires successives, y compris un féminicide commis en 1993. Pour ce motif, les principes applicables aux violences commises à l’égard des femmes sont applicables au cas d’espèce.

S’agissant de la naissance de l’obligation positive, les autorités nationales avaient connaissance des antécédents de l’agresseur ainsi que de sa relation avec la requérante. Elles avaient également été informées de son instabilité psychiatrique par son médecin. Ces circonstances sont de nature à faire naître une obligation positive à la charge de l’État.

S’agissant du respect des obligations positives, les mesures mises en place par les autorités nationales se sont limitées à l’échange téléphonique entre un agent de police et la requérante. Cette conversation téléphonique n’a été suivie d’aucun effet, ce qui révèle à tout le moins un manque de communication et de coordination de nature à violer les obligations positives de diligence découlant de l’art. 2 CEDH. Il est à cet égard indifférent que la requérante n’ait ni déposé de plainte pénale ni requis assistance. En effet, celle-ci ignorait les antécédents de l’agresseur, ce qui explique sa compréhension imparfaite de la menace. De plus, les autorités ne sauraient se contenter de la perception du risque par la victime et doivent effectuer leur propre appréciation.

Au vu de ce qui précède, la CourEDH constate une violation des obligations positives découlant de l’art. 2 CEDH.

Proposition de citation : Simon Pfefferlé, La portée des obligations positives de l’État en matière de violences à l’égard des femmes, in: https://lawinside.ch/1597/