La constitutionnalité du plafonnement de l’activité économique subventionnée et privée

TF, 18.02.2025, 2C_52/2024*

Lorsque l’État subventionne une activité économique privée, il n’est possible de se prévaloir de la liberté économique que de manière limitée s’agissant de la part de l’activité subventionnée. En revanche, s’agissant de la part de l’activité non-subventionnée, la liberté économique s’applique entièrement.

Un plafonnement de l’activité économique privée non-subventionnée constitue une atteinte grave à la liberté économique, laquelle n’est admissible qu’aux conditions de l’art. 36 Cst.

Faits

Une logopédiste-orthophoniste indépendante dépose une demande de convention de subventionnement sur la base de la nouvelle loi vaudoise en matière de pédagogie spécialisée (LPS-VD). La Direction générale y répond favorablement. Toutefois, en application du « Dispositif cantonal de la logopédie indépendante conventionnée et démarche de conventionnement » qu’elle a édicté, la Direction générale plafonne le volume des prestations facturées à 90’000 minutes par année civile. Ce taux est considéré comme un taux maximal d’activité à 100 % que les délégataires n’ont pas le droit de dépasser toutes activités confondues. La logopédiste-orthophoniste s’opposant au plafonnement, la Direction, par décision du 24 septembre 2021, refuse finalement le subventionnement.

La logopédiste-orthophoniste forme un recours contre la décision de la Direction auprès du Tribunal cantonal, lequel est rejeté par arrêt du 13 décembre 2023, puis en matière de droit public auprès du Tribunal fédéral en faisant valoir une violation de sa liberté économique. Le Tribunal fédéral doit établir, premièrement, si, et le cas échéant dans quelle mesure, une activité économique subventionnée par l’État bénéficie de la liberté économique. Secondement, le Tribunal fédéral doit établir si le plafonnement de l’activité économique est conforme à cette garantie.

Droit

La logopédie, y compris la logopédie en tant que mesure de pédagogie spécialisée, n’est pas une activité réservée de l’État (exercice de la puissance publique ou monopole). Lorsqu’une activité privée relève du domaine de protection de l’art. 27 Cst., comme l’activité de logopédiste indépendante, mais se déroule au sein d’un système dirigé ou soutenu par l’État, les personnes subventionnées ne jouissent que d’une liberté économique limitée en lien avec les prestations déléguées. Ils ne peuvent ainsi invoquer la liberté économique que pour contester que l’octroi de subventions soit soumis à des conditions. En revanche, ils peuvent faire valoir que ces conditions violent la liberté économique, notamment parce qu’elles ne poursuivent pas un but légitime d’intérêt public ou ne respectent pas le principe de la proportionnalité. Ainsi, à l’instar de bénéficiaires de subventions, les logopédistes indépendants qui effectuent des prestations de pédagogie spécialisée financées par l’État jouissent d’une liberté économique limitée en lien avec les prestations déléguées.

En l’espèce toutefois, le régime prévu par le canton de Vaud a ceci de spécifique que les logopédistes peuvent continuer à exercer une activité totalement privée en parallèle de leur activité subventionnée. S’agissant de son activité économique purement privée, qui n’est aucunement soutenue financièrement par l’État, la recourante bénéficie entièrement de la liberté économique. Ainsi, si la recourante ne peut contester le plafonnement des prestations subventionnées sous l’angle de la liberté économique, elle peut en revanche contester la constitutionnalité du plafonnement de son activité économique purement privée.

Un plafonnement de l’activité économique privée, tel que prévu par la Convention de subventionnement, constitue une atteinte grave à la liberté économique car elle touche à l’autonomie organisationnelle du délégataire et interfère sur l’étendue de son activité indépendante. Une telle atteinte n’est admissible qu’aux conditions de l’art. 36 Cst.

En vertu de l’art. 36 al. 1 Cst., toute atteinte grave à un droit fondamental doit se fonder sur une base légale formelle. La condition du respect d’un plafond d’activité, toutes activités confondues (déléguées et privées) pour les délégataires de prestations de logopédie, ne ressort pas explicitement de la LPS-VD. C’est uniquement à la lecture conjointe des art. 23 et 60 LPS-VD qu’il est possible de retenir que la Direction générale peut fixer dans la convention de subventionnement d’autres critères que ceux énumérés de manière non exhaustive à l’art. 23 al. 2 LPS-VD. Or, pour satisfaire aux exigences de l’art. 36 al. 1 Cst., un plafonnement de l’activité économique privée d’un délégataire doit figurer directement dans la loi au sens formel.

Partant, faute de base légale suffisante, le grief tiré de la violation de la liberté économique est fondé. Le Tribunal fédéral admet le recours.

Proposition de citation : Simon Pfefferlé, La constitutionnalité du plafonnement de l’activité économique subventionnée et privée, in: https://lawinside.ch/1567/