Les entreprises de services aux voyageurs au sens de l’art. 26 al. 2 et 4 OLT2 et le travail dominical

TF, 27.02.2025, 2C_87/2024*

Pour bénéficier de l’exception à l’interdiction du travail dominical prévue à l’art. 26 al. 2 et 4 OLT2, il ne suffit pas qu’un point de vente se trouve dans le périmètre d’une gare. Encore faut-il que la taille et le nombre d’usagers de la gare justifient l’application de la disposition susmentionnée.

Faits

En février 2023, une société anonyme, notamment active au sein d’un groupe d’entreprises dans le commerce d’articles alimentaires et non-alimentaires, ouvre un nouveau magasin à la Place de la Gare de Châtel-St-Denis. Le dimanche, le magasin est ouvert de 8h à 22h.

Dans un courrier daté du 17 février 2023, la société Transports publics fribourgeois Infrastructure (la « Société de transports ») indique à la société anonyme que, selon son analyse, le magasin de Châtel-St-Denis peut être qualifié d’entreprise accessoire à but commercial située dans le périmètre de la gare au sens de la Loi fédérale sur les chemins de fer (LCdF). En conséquence, ce magasin n’est pas soumis aux dispositions cantonales et communales sur les heures d’ouverture, y compris le dimanche.

Par décision du 2 mars 2023, et après avoir adressé deux courriers à la société anonyme en lui rappelant l’interdiction d’occuper des travailleurs le dimanche, l’Inspection du travail du canton de Fribourg lui interdit d’occuper des travailleurs dans le magasin de Châtel-St-Denis du samedi à 23h au dimanche à 23h.

Le Service public de l’emploi du canton de Fribourg rejette la réclamation de la société anonyme, qui saisit le Tribunal cantonal fribourgeois, sans succès. La société anonyme exerce un recours en matière de droit public auprès du Tribunal fédéral. Ce dernier doit déterminer si le magasin peut être qualifié d’ « entreprise de services aux voyageurs » et, en conséquence, bénéficier de l’exception prévue à l’art. 26 de l’Ordonnance 2 relative à la LTr (OLT2), permettant l’occupation de travailleurs le dimanche sans autorisation officielle.

Droit

Après avoir écarté le grief de violation du droit d’être entendue (art. 29 al. 2 Cst.) et d’arbitraire dans l’établissement des faits soulevés par la recourante, le Tribunal fédéral examine la question principale.

L’OLT2 prévoit des dispositions spéciales pour certaines catégories d’entreprises et de travailleurs. En particulier, elle précise les possibilités de dérogations aux prescriptions légales en matière de durée du travail et du repos en cas de situation particulière au sens de l’art. 27 LTr et désigne les catégories d’entreprises ou groupes de travailleurs auxquels s’appliquent ces dérogations (art. 1 OLT2). Ainsi, aux termes de l’art. 4 al. 2 OLT2, l’employeur peut, sans autorisation officielle, occuper des travailleurs pendant la totalité ou une partie du dimanche.

Selon l’art. 26 al. 2 OLT2, sont applicables en particulier aux entreprises de services de voyageurs, ainsi qu’aux travailleurs qu’ils affectent au service aux voyageurs, l’art. 4 al. 2 OLT2 pour tout le dimanche. L’art. 26 al. 4 OLT2 précise que sont réputés entreprises de services aux voyageurs les points de vente et entreprises de prestations de service situés dans le périmètre des gares, aéroports, d’autres grands centres de transports publics et dans les localités frontalières, dont les marchandises et les prestations répondent principalement aux besoins des voyageurs.

La recourante fait valoir que le statut d’entreprise de services aux voyageurs pouvant occuper des travailleurs le dimanche, au sens de l’art. 26 al. 2 et 4 OLT2, doit lui être reconnu, car la Société de transports lui a octroyé une autorisation au sens de l’art. 39 al. 1 LCdF.

Selon cette disposition, l’entreprise ferroviaire qui gère l’infrastructure est autorisée à installer des entreprises accessoires à but commercial dans le périmètre des gares, pour autant que ces entreprises répondent aux besoins de la clientèle des chemins de fer. Les services définis comme entreprises accessoire par les entreprises ferroviaires ne sont pas soumis aux dispositions cantonales et communales sur les heures d’ouverture et de fermeture (art. 39 al. 3 LCdF).

S’agissant de la coordination entre l’OLT2 et la LCdF, le Tribunal fédéral rappelle sa jurisprudence. Dès lors que l’art. 26 al. 2 et 4 OLT2 et l’art. 39 LCdF s’appliquent aux entreprises situées à proximité des gares qui visent à répondre aux besoins des voyageurs, il convient de les interpréter de manière coordonnée. Ainsi, si une entreprise est considérée comme répondant aux besoins de la clientèle des chemins de fer au sens de l’art. 39 LCdF, il existe une présomption selon laquelle elle revêt également la qualité d’entreprise de services aux voyageurs au sens de l’art. 26 al. 2 et 4 OLT2. Cependant, les autorités en charge de l’application de la LTr restent compétentes pour examiner si les conditions de l’art. 26 al. 2 et 4 OLT2 sont remplies dans un cas concret.

En l’espèce, le fait que la Société de transports ait reconnu la qualité d’entreprise accessoire répondant aux besoins de la clientèle des chemins de fer au sens de l’art. 39 LCdF à la recourante n’est pas suffisant pour lui permettre d’occuper des travailleurs le dimanche. Encore faut-il que les conditions de l’art. 26 al. 2 et 4 OLT2 soient remplies.

Le Tribunal fédéral rappelle que l’art. 26 al. 2 et 4 OLT2, comme toutes les dérogations et exceptions à l’interdiction du travail de nuit et le dimanche, doit être interprété de manière restrictive, quand bien même les habitudes des consommateurs auraient subi une certaine évolution depuis l’adoption de la règle.

Se livrant à une interprétation de la norme, le Tribunal fédéral retient qu’il ne suffit pas qu’un point de vente se trouve dans le périmètre d’une gare, peu importent sa taille et le nombre de ses usagers, pour que l’exploitant puisse employer du personnel le dimanche. En effet, pour entrer dans la catégorie des entreprises de services aux voyageurs, la clientèle doit être effectivement composée par une large part de voyageurs. Le point de vente doit donc se trouver dans le périmètre d’une gare d’une certaine importance, s’agissant en tout cas de la fréquentation par des voyageurs.

En l’espèce, la desserte en transports publics de la gare de Châtel-St-Denis, et partant son utilisation par des voyageurs, sont restreintes. En semaine, les trains desservant cette commune sont principalement utilisés par des pendulaires se rendant à Bulle ou Palézieux pour y prendre des correspondances pour d’autres villes. Le dimanche, l’une des deux lignes de train est supprimée, et la seconde est réduite de moitié en matière de fréquence horaire. De même, les horaires des deux bus qui desservent la gare à destination de Vevey et des Paccots sont également réduits de près de la moitié le dimanche. Dans ces circonstances, c’est à raison que l’instance précédente a retenu que la clientèle de la recourante n’apparaît pas essentiellement composée de voyageurs, à tout le moins le dimanche.

Il découle de ce qui précède que l’instance précédente n’a pas violé l’art. 26 al. 2 et 4 OLT2. Partant, le Tribunal fédéral rejette le recours.

Proposition de citation : Camille de Salis, Les entreprises de services aux voyageurs au sens de l’art. 26 al. 2 et 4 OLT2 et le travail dominical, in: https://lawinside.ch/1565/