La légalité d’une taxe d’amarrage communale
CDAP (VD), 08.11.2024, FI.2024.0092
Une taxe d’amarrage communale pour les bateaux visiteurs d’un port doit reposer sur une base légale suffisante. En cas de délégation à l’exécutif, le mode de calcul et la quotité de la taxe peuvent figurer dans une loi au sens matériel. Dans tous les cas, le cercle des contribuables, l’objet et la base de calcul de la contribution doivent figurer dans une loi au sens formel. En l’occurrence, la taxe d’amarrage ne repose pas sur une base légale suffisante.
Faits
Le propriétaire d’un bateau à moteur amarre régulièrement en tant que visiteur dans différents ports à Lausanne. Le Service de l’économie de la Ville de Lausanne notifie au propriétaire du bateau une taxe d’amarrage pour une période donnée. Pour certains jours, le bateau est taxé à hauteur de deux emplacements en raison de sa largeur.
Le propriétaire conteste que son bateau puisse être taxé à double en raison de sa taille, faute de base légale en ce sens. Sans succès devant la Commission communale de recours en matière d’impôts communaux et de taxes spéciales de la Ville de Lausanne, il recourt à la Cour de droit administratif et public du Tribunal cantonal vaudois (CDAP) qui doit se prononcer sur la légalité de la taxe d’amarrage.
Droit
Dans un premier temps, la CDAP qualifie la taxe d’amarrage pour une place visiteur comme une contribution causale, à savoir une redevance d’utilisation du domaine public. Le bénéficiaire s’acquitte d’une somme en contrepartie du droit d’utiliser le domaine public.
Dans un second temps, la CDAP se penche sur le principe de la légalité (art. 5 al. 1 et art. 127 al. 1 Cst.). Une contribution doit être prévue par une norme générale et abstraite d’une densité normative suffisante. La qualité du contribuable, l’objet de la contribution et son mode de calcul doivent être prévus par une loi au sens formel.
En cas de délégation à l’exécutif, la jurisprudence a assoupli ces exigences pour les contributions causales, en ce sens que la fixation du montant peut être déléguée à l’exécutif dans la mesure où les principes constitutionnels de la couverture des frais et de l’équivalence s’appliquent. Ainsi, le mode de calcul et la quotité de la taxe peuvent figurer dans une loi au sens matériel, mais non pas le cercle des contribuables ni l’objet et la base de calcul de la taxe qui doivent figurer dans une loi au sens formel, respectivement résulter de l’interprétation de cette loi.
La CDAP se penche alors sur le cadre légal en matière d’utilisation des lacs et cours d’eau dans le canton de Vaud et dans la commune de Lausanne. Les art. 80 et 82 du règlement général de police de la commune de Lausanne (RGP), adopté par le Conseil communal (organe législatif), accorde à la Municipalité (organe exécutif) la faculté d’édicter des dispositions réglementaires sur l’utilisation des installations portuaires et à soumettre cet usage à une autorisation. Sur cette base, la Municipalité a adopté un règlement sur les ports et le louage des bateaux (RPLB) qui prévoit à son art. 47 qu’elle arrête elle-même les taxes en matière de places d’amarrage. La Municipalité a édicté sur cette base un Tarif relatif aux infrastructures portuaires qui prévoit une taxe pour places visiteurs dont le montant dépend du nombre de nuitées.
À cet égard, la CDAP constate que les art. 80 et 82 RGP – en l’occurrence l’unique loi au sens formel – ne prévoient ni l’objet de la taxe, ni le cercle des contribuables. L’indication selon laquelle la Municipalité peut édicter des dispositions réglementaires sur l’utilisation des installations portuaires ne revêt pas une densité suffisante pour fonder la perception d’une taxe. Enfin, le fait de pouvoir soumettre l’utilisation du port à une autorisation ne fonde pas le droit au prélèvement d’une taxe. Le RGP n’est donc pas suffisant pour fonder la taxe d’amarrage. Par ailleurs, la CDAP relève que les normes adoptées par la Municipalité – à savoir des lois au sens matériel – ne suffisent pas pour fonder la taxe.
Par conséquent, indépendamment de la question d’une facturation à double en raison de la largeur du bateau, la CDAP considère que le prélèvement d’une taxe d’amarrage ne repose pas sur une base légale suffisante. Si les autorités concernées souhaitent prélever une taxe d’amarrage, elles doivent le prévoir dans une loi au sens formel conforme aux garanties constitutionnelles (cf. art. 5 al. 1 et art. 127 al. 1 Cst.).
Enfin, même à considérer que la taxe reposait sur une base légale suffisante, la CDAP relève que la règlementation ne permet pas d’opérer une facturation à double des places visiteurs. Bien que cet élément relève du mode de calcul, respectivement de la quotité de la taxe, et qu’il pourrait à ce titre figurer dans une loi au sens matériel, le Tarif en cause ne prévoit pas la possibilité de facturer à double un seul bateau, même s’il devait occuper deux emplacements. Le Tarif ne fait en effet aucune mention de la taille des bateaux pour déterminer le montant de la taxe des places visiteurs. Il ne prévoit qu’un tarif unique par nuitée. La législation communale doit ainsi préciser le mode de calcul des taxes visiteurs pour respecter le principe de la légalité.
Partant, la CDAP annule la taxation litigieuse et admet le recours.
Proposition de citation : Tobias Sievert, La légalité d’une taxe d’amarrage communale, in: https://lawinside.ch/1535/