Interview avec le Professeur Pascal Pichonnaz

 

À l’occasion de ses trois ans, LawInside publie une série de cinq interviews avec des personnalités romandes actives dans le domaine juridique. Pour la deuxième interview, nous avons l’honneur de nous entretenir avec le Professeur Pascal Pichonnaz.

Pascal Pichonnaz est professeur ordinaire et titulaire de la Chaire de droit privé et de droit romain à l’Université de Fribourg. Il a été doyen de de la Faculté de droit de l’Université de Fribourg de 2014 à 2017.  Il enseigne actuellement comme professeur invité au Georgetown University Law Center à Washington, D.C. pour l’année 2017-2018. Le Professeur Pichonnaz est titulaire d’une licence en droit, d’un doctorat en droit et d’une habilitation de l’Université de Fribourg ainsi que d’un LL.M. de l’UC Berkeley School of Law.

LawInside : Quelle est votre méthode pour vous tenir informé des nouveautés jurisprudentielles ? Dans quelle mesure est-ce que vous prenez connaissance des arrêts qui vont au-delà de votre domaine d’expertise ? En quoi LawInside vous est-il utile et comment faites en vous usage ?

Pascal Pichonnaz : Je demande à mes assistants de me tenir informé (rires). Blagues mises à part, j’ai toujours trouvé important de me tenir au courant des nouveautés jurisprudentielles quel que soit le domaine. Déjà lorsque j’étais étudiant, j’étais abonné au recueil officiel des arrêts du Tribunal fédéral format papier et je le suis toujours. Quand je reçois un fascicule, je prends connaissance des arrêts qui concernent mon champ de compétence, mais également d’arrêts dans d’autres domaines, afin de me tenir au courant de ce qui se passe ailleurs, en assurances sociales ou en droit pénal également. Aujourd’hui, avec les outils informatiques dont on dispose, la méthode a changé. Je continue à consulter le recueil officiel sous format papier, mais en parallèle je consulte quotidiennement le site du Tribunal fédéral et certains pushs m’informent des nouveautés dans certains domaines. J’ai aussi beaucoup de collègues et d’avocats bienveillants qui m’envoient régulièrement des décisions qui pourraient m’intéresser, du Tribunal fédéral, mais aussi des cours cantonales et des tribunaux de première instance. L’approche multimode de LawInside m’aide évidemment aussi. Le fait que je reçoive des notifications par mails, sur LinkedIn ou encore sur twitter attire mon attention sur les nouveautés que vous résumez. Là où LawInside m’est particulièrement utile, c’est qu’il y a une base de données actuelle. Se tenir à jour, c’est une chose, mais se souvenir des arrêts qu’on a lu, cela en est une autre ; LawInside m’est très utile à cet égard.

« L’arrivée de l’électronique est le plus grand bouleversement qu’ait connu le métier d’avocat ».

LawInside : Quels sont à votre avis les plus grands défis de la profession d’avocat dans les années à venir ? Avez-vous déjà perçu des changements ou des évolutions dans cette profession depuis le début de votre carrière ? 

Pascal Pichonnaz : Je rejoins entièrement Richard Susskind qui explique dans son ouvrage « Tomorrow’s Lawyers : An Introduction to Your Future » que l’arrivée de l’électronique est le plus grand bouleversement qu’ait connu le métier d’avocat. Lorsque j’interviens comme arbitre, je constate aujourd’hui que, contrairement à ce qui se faisait à l’époque, les avocats peuvent davantage travailler en réseau, communiquer directement et rapidement avec d’autres avocats qui se trouvent dans des zones géographiques très diverses. Dans l’enseignement, les défis liés à cette arrivée de l’électronique se traduisent par la quantité phénoménale d’informations auxquelles les étudiants peuvent avoir accès et sont confrontés. Il s’agit dès lors de leur enseigner des stratégies de sélection et de les pousser à la réflexion personnelle. Ce que j’essaie d’expliquer aux étudiants qui se trouvent face à de telles quantités d’informations, c’est qu’ils ne doivent pas se demander « par où je commence » – sinon ils ne s’en sortiraient jamais – mais « où est-ce que je veux aller ». Ainsi, l’on détermine plus aisément la stratégie de recherche.

LawInside : Vous êtes en pleine année d’enseignement comme professeur invité à Georgetown Law à Washington D.C. S’il y avait une institution juridique ou un système juridique que nous devions importer des Etats-Unis en Suisse, qu’est-ce que ce serait ? 

Pascal Pichonnaz : J’ai comme l’impression qu’aucun des membres de LawInside n’a suivi mes cours de droit comparé des contrats (rires). Ce que j’y explique, c’est qu’il n’est en soi pas possible de transplanter une institution juridique étrangère dans un environnement juridique qui s’est construit selon des traditions différentes. Toute reprise nécessite une adaptation qui tienne compte du contexte historique, social et économique du lieu où l’on souhaite « importer » une institution juridique. Il ne s’agit donc plus de la même institution, mais de la création de quelque chose de nouveau, distinct et qui nécessairement fonctionne selon des règles propres. Il n’y a donc dans ce sens-là pas de legal transplant possible. Cela étant dit, s’il fallait importer ou plutôt s’inspirer d’institutions juridiques des Etats-Unis, j’en choisirais deux. La première concerne l’enseignement. Je pense que l’on aurait tout à gagner en Suisse à s’inspirer d’un mode d’enseignement qui est beaucoup plus orienté vers le débat. Ce n’est pas une nouveauté bien sûr. Les juristes sont constamment amenés à débattre, dans un cadre dogmatique et théorique existant ; ainsi, un enseignement centré sur le débat leur serait bénéfique. La seconde concerne la procédure. Je pense que la Suisse devrait se doter d’un droit d’action collective. Il faudrait évidemment tenir compte des spécificités helvétiques ce qui exclut le modèle à l’américaine de la class action et des punitive damages qui y sont souvent liés, mais organiser la possibilité pour un grand nombre de personnes de mener ensemble un procès contre le même auteur d’un dommage  pourrait être bénéfique pour la Suisse. Le Conseil fédéral vient d’ailleurs de proposer une adaptation de la procédure civile qui va dans ce sens.

« le Tribunal fédéral devrait prendre le virage des ‘concurring and dissenting opinions».

LawInside : Si vous pouviez changer une chose dans la manière dont le Tribunal fédéral rend ses décisions, que feriez-vous ?

Pascal Pichonnaz : Pour moi c’est assez clair, le Tribunal fédéral devrait prendre le virage des « concurring and dissenting opinions ». Publier en plus de l’arrêt de base, les arguments différents des juges d’accord avec le résultat et ceux des juges dont la position a été minorisée, encouragerait le débat juridique et donnerait au Tribunal fédéral un vrai rôle de Cour suprême. Lorsque le Tribunal fédéral est amené à trancher des questions de principe, il arrive très fréquemment que les juges fédéraux ne soient pas d’accord entre eux. Et pourtant, dans la tradition du XIXe siècle, on fait comme si la décision découlait directement (et logiquement) du texte légal. Or, il n’en est rien. Partant, si le Tribunal fédéral publiait également ces points de désaccord, il encouragerait le débat et la réflexion juridique. Et à mon avis, cela n’entacherait en rien la force des arrêts du Tribunal fédéral. Ce serait d’ailleurs cohérent avec l’approche du pluralisme méthodologique pragmatique suivie par le Tribunal fédéral, puisqu’à travers cette méthode, il cherche à trouver la solution qui est matériellement la plus juste, ce que les juges font forcément à travers un débat. Et comme le droit est une lutte qui se traduit en débats et qui permet de trouver des solutions aux problèmes posés, en publiant les « concurring and dissenting opinions » des juges fédéraux, le Tribunal fédéral soulignerait cette approche dialectique dans la recherche de la solution équitable.

LawInside.ch fête ses trois ans. Le site Internet a été fondé en mars 2015 avec pour but de proposer gratuitement des résumés en français de l’ensemble des arrêts importants publiés par le Tribunal fédéral. En trois ans, plus de 570 arrêts ont été résumés et publiés. Originairement composée de trois membres, l’équipe s’est agrandie et est désormais composée de neuf membres.