Interview avec le Bâtonnier Grégoire Mangeat
À l’occasion de ses trois ans, LawInside publie une série d’interviews avec des personnalités actives dans le domaine juridique. Pour la sixième et dernière interview, nous avons eu l’honneur de nous entretenir avec le Bâtonnier Grégoire Mangeat.
Grégoire Mangeat fut Bâtonnier de l’Ordre des avocats de Genève de 2016 à 2018. Il est l’un des fondateurs de l’Etude Mangeat Avocats dans laquelle il exerce en tant qu’associé. Grégoire Mangeat est titulaire d’une licence en droit de l’Université de Fribourg et d’un M.B.L. de l’Université de Saint-Gall.
LawInside : Quelle est votre méthode pour vous tenir informé des nouveautés jurisprudentielles ? Dans quelle mesure est-ce que vous tâchez de prendre connaissance des arrêts qui vont au-delà de votre domaine d’expertise ? Sur ces deux points, en quoi LawInside vous est utile ?
Grégoire Mangeat : Ce n’est pas à proprement parler une méthode, mais j’essaie de garder à l’esprit une certaine hiérarchisation de la qualité de l’information. Dans la masse gigantesque des post, des news, des alertes, des push, des arrêts, des articles, ou des livres…, tout ne se vaut pas. Dans mes domaines que sont le contentieux et la criminalité économique, le site Strafprozess.ch est très bien fait ; puis il y a les revues comme la Revue Pénale Suisse et Forum Poenale. Les séminaires sont également très importants. D’une manière générale, j’aime la prise de recul, la mise en perspective. Pour cela, il faut des professeurs et du temps. Les Mélanges sont par exemple des mines d’or qui ont toujours suscité ma curiosité, parce qu’on y trouve des articles originaux, qui ouvrent des pistes, et qui sont le fruit d’une maturation lente. Dans ce chaos généralisé de l’information juridique, LawInside.ch tire son épingle du jeu. Le format est idéal. La langue très claire. Et le réflexe est désormais pris de lire tous les nouveaux commentaires, quel que soit le domaine juridique. LawInside.ch contribue ainsi au décloisonnement du juriste, ce qui est assez remarquable.
« D’une manière générale, j’aime la prise de recul, la mise en perspective. Pour cela, il faut des professeurs et du temps ».
LawInside : Quels sont à votre avis les plus grands défis de la profession d’avocat dans les années à venir ? Avez-vous déjà perçu des changements ou évolutions dans votre pratique depuis le début de votre carrière ?
Grégoire Mangeat : Je suis de ceux qui ne prophétisent pas la disparition de l’avocat. Je vois bien que cela bouge, mais je trouve que les changements sont moins rapides qu’on ne l’écrit. Les grands défis de la profession d’avocat sont nombreux. On peut en citer quelques-uns : par ex. faire de la déontologie (aussi) un gage de qualité de nos prestations d’avocat ; savoir retenir les meilleures avocates qui, en l’état actuel des mentalités, ont encore tendance à quitter la profession après deux ou trois ans de métier ; trouver de nouveaux modèles de facturation ; inventer de nouveaux modèles d’affaires pour mieux servir la classe moyenne et les jeunes entreprises ; arrêter des manières différentes d’opérer et de facturer, selon que la prestation juridique peut être standardisée ou qu’elle commande au contraire du sur-mesure.
LawInside : Vous êtes arrivé au bout de votre bâtonnat. À l’heure du bilan, êtes-vous fier d’un accomplissement en particulier et/ou avez-vous un regret ?
Grégoire Mangeat : Si le bâtonnat, c’est bien se mettre au service d’une communauté d’avocats, c’est à ces derniers qu’il faut demander d’établir le bilan ! Je ne peux quant à moi que vous dévoiler les lignes que j’avais tracées au début de ces deux ans, et qui m’ont servi à jauger chacune de mes décisions à la tête de l’Ordre des avocats : désankyloser le barreau ; inciter les jeunes avocats à aiguillonner les avocats en place ; ouvrir les esprits à d’autres manières de pratiquer le métier (par ex. le futur avocat spécialisé, sans locaux professionnels et sans employés) ; saisir toute occasion de rappeler l’importance du dialogue et de la confiance ; renforcer l’égalité des chances entre hommes et femmes dans les études ; maintenir des liens forts avec les autres barreaux suisses, en particulier ceux de nos amis romands ; et promouvoir Genève et la qualité de ses avocats à l’étranger.
« Le juge prête-t-il la même attention au dossier lorsqu’il rédige lui-même que lorsqu’il part d’un projet d’arrêt rédigé par un greffier ? La question mériterait d’être étudiée ».
LawInside : Si vous pouviez changer une chose à la manière dont le Tribunal fédéral rend ses décisions, que feriez-vous ?
Grégoire Mangeat : Le Tribunal fédéral rend des arrêts qui, d’une manière générale, sont de grande qualité. Je n’ai donc pas d’autre manière de faire à suggérer. Il m’est cependant arrivé de me demander si la part prise par les greffiers dans la rédaction des arrêts n’était pas trop importante (+ de 80% des arrêts sauf erreur). En a-t-il toujours été ainsi, ou est-ce le résultat d’un glissement subreptice dans la manière de rendre la justice ? Toujours est-il que lorsque j’ai décrit cette manière de faire il y a quelques années à ma tante par alliance, présidente d’une chambre civile du BGH à Karlsruhe, elle était véritablement stupéfaite, m’expliquant que la rédaction de la très grande majorité des arrêts de la Cour suprême fédérale allemande était le fait des magistrats eux-mêmes. Le juge prête-t-il la même attention au dossier lorsqu’il rédige lui-même que lorsqu’il part d’un projet d’arrêt rédigé par un greffier ? La question mériterait d’être étudiée.
LawInside.ch fête ses trois ans. Le site Internet a été fondé en mars 2015 avec pour but de proposer gratuitement des résumés en français de l’ensemble des arrêts importants publiés par le Tribunal fédéral. En trois ans, plus de 570 arrêts ont été résumés et publiés. Originairement composée de trois membres, l’équipe s’est agrandie et est désormais composée de neuf membres.