La nullité de la taxation d’office
Une taxation d’office qui est augmentée d’année en année et dans des proportions de plus en plus massives, sans rapport avec la capacité économique du contribuable, peut être entachée de nullité. Tel est en particulier le cas lorsque la taxation d’office s’écarte délibérément et arbitrairement de la capacité économique du contribuable, respectivement lorsqu’elle revêt un caractère essentiellement punitif.
Faits
Des époux retraités ne déposent pas leurs déclarations fiscales, raison pour laquelle l’administration fiscale bernoise procède à leur taxation d’office pour les périodes 2005 à 2012. Les taxations entrent en force. Par la suite, l’administration fiscale procède au recouvrement partiel des impôts. Plusieurs saisies sont exécutées entre 2005 et 2010.
En 2012, les époux déposent leurs déclarations fiscales. En parallèle, ils forment une réclamation contre les taxations 2006 à 2012 et demandent également une reconsidération. L’administration fiscale reconsidère les taxations pour la période 2010 à 2012 en faveur des contribuables. Elle refuse toutefois de reconsidérer la période 2006 à 2009.
Les contribuables déposent un recours à la Commission des recours en matière fiscale du canton de Berne en concluant à la nullité des taxations 2006 à 2009. Celle-ci rejette le recours pour la période 2006 à 2009 et constate en outre la nullité des nouvelles taxations de l’administration fiscale pour la période 2010 à 2012. Le Tribunal administratif bernois confirme cette décision.
Les contribuables forment un recours en matière de droit public au Tribunal fédéral. Celui-ci doit déterminer, en premier lieu, si la Commission des recours était en droit de constater la nullité des nouvelles taxations de l’administration fiscale pour la période 2010 à 2012. En second lieu, le Tribunal fédéral doit se pencher sur la nullité des taxations d’office pour la période 2006 à 2009.
Droit
Le Tribunal fédéral se penche en premier lieu sur la question de savoir si la Commission des recours pouvait déclarer nulle les taxations de l’administration fiscale pour la période 2010 à 2012, alors que la réclamation des contribuables portait sur la période 2006 à 2009.
Une autorité doit constater la nullité d’une décision en tout temps et d’office. En principe la nullité doit être constatée par l’autorité saisie de l’affaire, à savoir notamment l’autorité ayant rendu la décision, l’autorité saisie d’un recours contre la décision ou une autorité de surveillance.
À ce propos, le Tribunal fédéral relève que la décision attaquée par les contribuables devant la Commission des recours ne portait que sur la période fiscale 2006 à 2009. L’objet de la contestation et du litige était donc limité à ces années fiscales. De l’avis du Tribunal fédéral, la Commission des recours ne pouvait pas, à l’inverse d’une autorité de surveillance, étendre la procédure à d’autres périodes fiscales. Ainsi, elle ne pouvait pas constater la nullité des décisions qui ne faisaient pas l’objet du recours (cf. art. 142 s. LIFD). Au vu de la gravité de cette violation des règles sur la compétence, la décision de la Commission des recours doit être déclarée nulle. Le Tribunal fédéral estime que cette nullité entache également l’arrêt de l’instance inférieure, à savoir le Tribunal administratif bernois, dans la mesure où celui-ci confirme la décision de la Commission des recours à propos des années fiscales 2010 à 2012.
Dans un second temps, le Tribunal fédéral se penche sur la question de savoir si les taxations d’office pour les années fiscales 2006 à 2009 sont nulles.
L’autorité de taxation ne peut procéder à une taxation d’office sur la base d’une appréciation consciencieuse que si, malgré sommation, il ne lui est pas possible de fixer les éléments imposables avec l’exhaustivité requise (art. 130 al. 2 LIFD). Une taxation d’office doit se rapprocher le plus possible de la réalité et de la capacité économique du contribuable. Dans ce contexte, l’autorité doit tenir compte de l’ensemble des faits connus au moment de la taxation, même ceux qui ne sont pas mentionnés au dossier. En principe, une taxation d’office, même manifestement inexacte, est annulable et non nulle (cf. art. 132 al. 3 LIFD). Cela étant, une taxation d’office peut être entachée de nullité lorsque l’autorité s’écarte délibérément et arbitrairement de la capacité économique du contribuable. Tel est également le cas lorsque l’augmentation du montant de la taxation d’office est motivé par un but purement fiscal ou pénal. En effet, l’administration n’est pas en droit d’employer la taxation d’office pour punir les manquements du contribuable à l’obligation de collaborer ou pour inciter le contribuable à mieux collaborer. L’art. 130 al. 2 LIFD ne constitue pas une base légale suffisante à ce propos. Une taxation d’office qui est augmentée d’année en année et dans des proportions de plus en plus massives, sans rapport avec la capacité économique du contribuable, peut être entachée de nullité.
En l’espèce, l’administration fiscale a augmenté les taxations d’office de manière importante (revenu de CHF 260’000 en 2005 à CHF 680’000 en 2012 ; fortune de CHF 4 mio en 2005 à CHF 8.5 mio en 2012), alors même qu’elle ne disposait pas d’éléments concrets pour justifier ces augmentations. Au contraire, l’administration fiscale aurait dû revoir ses estimations à la baisse, au regard des montants inférieurs qui ressortent des saisies menées entre 2005 et 2010. L’augmentation continue des éléments imposables, sans lien avec la capacité économique des contribuables, revêt ainsi le caractère d’une sanction.
Au vu de l’inexactitude manifeste des taxations d’office et de leur caractère punitif, le Tribunal fédéral déclare les taxations pour les années fiscales 2006 à 2009 nulles.
Partant, le recours est admis.
Proposition de citation : Tobias Sievert, La nullité de la taxation d’office, in: https://lawinside.ch/1500-2/