Les contraintes du statut de l’admission provisoire : ingérence dans la protection de la vie privée (art. 8 CEDH) ?

Télécharger en PDF

TF, 07.02.2024, 2C_198/2023*

Les enfants ne doivent pas forcément avoir le même statut que le parent avec qui ils font ménage commun.

Les inconvénients que présente le statut de l’admission provisoire peuvent entrainer une ingérence dans la protection de la vie privée garantie par l’art. 8 par. 1 CEDH. Il sied de procéder à un examen de chaque situation. En l’espèce, les recourants ont la possibilité d’avoir une scolarité et une vie sociale, soit de s’intégrer concrètement. Partant, leur statut d’admis provisoire ne met pas en péril leurs intérêts supérieurs et n’est dès lors pas contraire à l’art. 8 CEDH.

Faits

En 2014, deux époux, ressortissants syriens, ainsi que leurs enfants arrivent en Suisse munis d’un visa humanitaire. Quelques semaines plus tard, le Secrétariat d’Etat aux migrations les met au bénéfice d’une admission provisoire.

En 2018, les époux divorcent. La garde est attribuée à la mère et les parents disposent de l’autorité parentale conjointe.

En 2019, le père obtient une autorisation de séjour pour cas de rigueur. Deux ans plus tard, la mère dépose une demande d’autorisation de séjour pour ses enfants, en invoquant le regroupement familial avec leur père et leur bonne intégration.

Le Service de la population et des migrants du canton de Fribourg (“le Service cantonal”) rejette la demande. Le Tribunal cantonal rejette ensuite le recours des intéressés.

Les intéressés interjettent alors un recours en matière de droit public et un recours constitutionnel subsidiaire au Tribunal fédéral qui doit déterminer si les enfants doivent être mis au bénéfice d’une autorisation de séjour.

Droit

Premièrement, les recourants se plaignent d’une violation de l’art. 12 CDE de par la renonciation à l’audition des enfants.

L’art. 12 CDE dispose que les enfants capables de discernement peuvent exprimer librement leurs opinions sur les sujets qui les concernent et leurs opinions doivent être prises en considération. Une audition personnelle n’est pas indispensable dans la mesure où ils sont représentés par un parent avec qui ils ne sont pas en conflit d’intérêts et que les faits pertinents ont pu être établis autrement. En l’espèce, ces deux conditions sont remplies. Partant, la renonciation à l’audition par l’autorité cantonale n’est pas contraire à la CDE.

Secondement, les recourants soulèvent une atteinte disproportionnée au droit à la vie privée et familiale (art. 8 al. 1 CEDH et art. 13 Cst.). Ils font valoir que le statut de l’admission provisoire leur confère un statut précaire péjorant leur intégration. Ils reprochent également aux autorités de considérer qu’ils doivent prendre le statut du parent avec qui ils font ménage commun, leur mère, alors qu’ils entretiennent une relation étroite avec leur père.

Le Tribunal fédéral commence par rappeler qu’en raison de la clause d’exclusion de l’art. 83 lit. c ch. 2 LTF, il fondera son examen uniquement sur les dispositions constitutionnelles et conventionnelles (recours constitutionnel subsidiaire).

Il poursuit en relevant que, contrairement à l’avis du Tribunal cantonal, les enfants ne doivent pas forcément avoir le même statut que leur mère. Le Tribunal cantonal s’est référé, à mauvais escient, à une directive LEI qui s’applique uniquement aux enfants nés hors mariage.

Il convient dès lors d’examiner si le refus d’octroyer une autorisation de séjour dans cette situation est conforme à l’art. 8 CEDH. En l’occurrence, le Tribunal fédéral commence par rappeler que la protection de l’art. 8 CEDH ne peut être invoquée qu’en lien avec la protection de la vie privée et non de la vie familiale puisque l’arrêt attaqué, qui ne met pas fin au séjour des recourants en Suisse, ne conduit pas à la séparation de la famille. Partant, la question se pose de savoir si l’autorité cantonale avait l’obligation positive de délivrer une autorisation de séjour pour permettre de garantir les éléments couverts par la vie privée (art. 8 CEDH).

Selon la CourEDH, l’Etat doit trouver un juste équilibre entre les intérêts concurrents de l’individu et de la communauté dans son ensemble. Pour cela, les autorités disposent d’une marge de manœuvre mais doivent toutefois respecter le principe de proportionnalité. Par ailleurs, l’art. 8 CEDH ne garantit pas un type particulier de titre de séjour, tant qu’il est possible d’exercer sans entrave les prérogatives découlant du droit au respect de la vie privée et familiale. La CourEDH précise encore que la notion de « vie privée » est une notion large ; l’art. 8 CEDH protège le développement libre et l’épanouissement de la personnalité en général.

Le statut d’admission provisoire présente plusieurs inconvénients. La question est dès lors de savoir si ces inconvénients sont propres à entrainer une ingérence dans la protection de la vie privée garantie par l’art. 8 CEDH. Le Tribunal fédéral rappelle qu’il analyse le statut des enfants, indépendamment du statut de leur mère.

En l’espèce, les recourants ont un intérêt à pouvoir progressivement affirmer leur droit de présence avec l’obtention d’une autorisation de séjour. Toutefois, le statut de l’admission provisoire n’est, sur ce point, pas contraire au droit des recourants au respect de la vie privée puisqu’ils ne sont pas exposés à un renvoi dans un avenir prévisible. Ils ont la possibilité d’avoir une vie sociale et une scolarité, soit de s’intégrer concrètement.

Le statut de l’admission provisoire présente également une contrainte au niveau de la mobilité intercantonale et internationale. Le Tribunal fédéral constate qu’au vu de l’âge des enfants, ce problème est théorique. De plus, ils peuvent faire des demandes de visa, ce qui qui ne constitue qu’une atteinte légère à leur droit. Concernant l’accès à une place d’apprentissage restreint par le statut de l’admission provisoire, il s’agit, là encore, d’une question hypothétique compte tenu de leur âge.

En conclusion sur ce second point, les autorités cantonales n’ont pas violé leurs obligations positives. Les intérêts supérieurs des recourants sont préservés. En outre, cette décision ne préjuge en rien sur l’issue d’une nouvelle demande sur la base de l’art. 84 al. 5 LEI lorsque les recourants seront plus âgés.

Finalement, les recourants font valoir que le fait de se voir appliquer un traitement différent de celui de leur père et de celui d’un enfant dont les parents ne sont pas divorcés viole le principe de l’interdiction de discrimination.

Le Tribunal fédéral relève que les réfugiés admis à titre provisoire ne constituent pas un groupe protégé par l’art. 8 al. 2 Cst. Il en va de même des enfants de parents divorcés, car il ne s’agit pas d’un élément essentiel de l’identité et ni d’une caractéristique proprement dite de la personnalité des personnes concernées.

Au vu de ce qui précède, le Tribunal fédéral rejette le recours.

Proposition de citation : Margaux Collaud, Les contraintes du statut de l’admission provisoire  : ingérence dans la protection de la vie privée (art. 8 CEDH)  ?, in : https://www.lawinside.ch/1447/