État de santé apte à faire échec à une demande d’extradition
Contribution de Me Sandrine Giroud à l’occasion des cinq ans de LawInside.ch
Pour célébrer les cinq ans de LawInside.ch, nous avons demandé à des personnalités actives dans le monde juridique en Suisse romande et alémanique de commenter un arrêt comme contributeurs externes de LawInside.ch.
Comme quatrième contributeur, nous avons le plaisir d’accueillir Me Sandrine Giroud, associée au sein de LALIVE. Me Sandrine Giroud est notamment spécialisée en contentieux en matière civile et commerciale, recouvrement d’avoirs, criminalité économique et entraide, ainsi qu’en droit de l’art. Elle est également membre du Conseil de l’Ordre et présidente de la Commission des droits de l’Homme de l’Ordre des avocats de Genève.
L’état de santé de l’extradé ne constitue en principe pas un motif particulier de refus de l’extradition. Un refus ne saurait être justifié qu’en présence de motifs exceptionnels, lorsqu’il existe des doutes sérieux sur la capacité de l’État étranger à assurer à la personne extradée un traitement conforme aux exigences des normes de droit international et à lui fournir, le cas échéant, des soins suffisants en détention.
Faits
En juin 2019, l’Office fédéral de la justice accorde l’extradition aux Pays-Bas d’un ressortissant pakistanais pour l’exécution d’une peine privative de liberté prononcée en juin 2018 par le Tribunal de La Haye pour participation à une organisation criminelle et escroquerie.
L’extradé saisit la Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral d’un recours contre la décision d’extradition. Il invoque son état de santé caractérisé par une leucémie myéloïde aigüe avec anomalies cytogénétiques, dont l’aggravation récente empêche tout déplacement physique.
La Cour des plaintes rejette son recours et l’extradé agit par la voie du recours en matière de droit public auprès du Tribunal fédéral.
Droit
Le recours en matière de droit public est recevable à l’encontre d’une décision d’entraide pénale internationale dans l’un des cas énumérés à l’art. 84 al. 1 LTF, dont les cas d’extradition, et s’il concerne un cas particulièrement important. Un cas est particulièrement important notamment lorsqu’il y a des raisons de supposer que la procédure à l’étranger viole des principes fondamentaux ou comporte d’autres vices graves (art. 84 al. 2 LTF). Le Tribunal fédéral rappelle toutefois que ces motifs ne sont pas exhaustifs et qu’il peut être appelé à intervenir lorsqu’il s’agit de trancher une question juridique de principe ou lorsque l’instance précédente s’est écartée de la jurisprudence suivie jusque-là. Cela étant, dans le domaine de l’extradition également, l’existence d’un cas particulièrement important n’est admise qu’exceptionnellement.
L’extradé invoque en l’espèce l’art. 3 CEDH (interdiction de la torture) et l’art. 8 CEDH (droit au respect de la vie privée et familiale) et soutient que son état de santé serait incompatible avec une extradition vers les Pays-Bas. Il fait également valoir le principe de réciprocité sur la base de la réserve émise par les Pays-Bas à la Convention européenne d’extradition (CEExtr), applicable entre la Suisse et les Pays-Bas, aux termes de laquelle les Pays-Bas peuvent refuser l’extradition pour des motifs tenant à l’état de santé de la personne réclamée.
Selon le recourant, sa maladie présenterait un haut risque de mortalité ; il aurait bénéficié d’une greffe pour laquelle peu de centres médicaux disposeraient de l’expertise nécessaire. Selon des certificats médicaux, tout déplacement générerait une rupture de la continuité de la prise en charge avec, le cas échéant, un risque vital pour le patient. En outre, son traitement aurait engendré une forte immunosuppression avec un risque infectieux majeur. Son maintien dans un service adapté serait nécessaire pour éviter une rechute fatale.
Le Tribunal fédéral rappelle qu’à l’égard d’un État partie à la CEExtr, l’extradition ne peut être refusée pour des motifs qui ne sont pas prévus par le droit extraditionnel conventionnel, a fortiori en ce qui concerne un pays tel que les Pays-Bas au sujet duquel il n’existe aucun doute sur le respect des droits de l’homme. Ainsi, nonobstant la réserve à la CEExtr de l’État requérant, l’état de santé de l’extradé ne constitue en principe pas un motif particulier de refus de l’extradition. Un refus ne saurait être justifié qu’en présence de motifs exceptionnels, lorsqu’il existe des doutes sérieux sur la capacité de l’État étranger à assurer à la personne extradée un traitement conforme aux exigences des normes de droit international et à lui fournir, le cas échéant, des soins suffisants en détention.
En l’occurrence, le Tribunal fédéral considère que rien ne permet de penser que les autorités néerlandaises, dûment informées des graves problèmes médicaux de l’extradé, ne seraient pas capables de lui accorder les soins requis par son état. Qui plus est, la coordination nécessaire à sa prise en charge ne relève pas de l’admissibilité de l’extradition mais de son exécution. Or, l’extradé n’ayant pas rendu vraisemblable un risque sérieux de violation des droits de l’homme, le Tribunal fédéral considère que la cause ne soulève aucune question de principe. Partant, le recours est déclaré irrecevable.
Note
Cet arrêt non destiné à la publication est intéressant à plusieurs égards, notamment parce qu’il illustre les difficultés de la défense en matière d’extradition et qu’il soulève la question du suivi médical d’une personne extradée.
Tout d’abord, cet arrêt met en évidence l’enchevêtrement de normes applicables entre le droit conventionnel (CEExtr), les réserves y afférentes, l’EIMP et l’ordre public international. C’est ainsi la CEExtr qui s’applique dans la mesure des réserves formulées à son encontre et dans les limites de l’ordre public international ; elle est complétée par l’EIMP qui règle la procédure d’extradition sauf dispositions contraires de la CEExtr (art. 22 CEExtr).
En l’espèce, le Tribunal fédéral commence par examiner un possible motif de refus de l’extradition sur la base de la réserve émise par les Pays-Bas applicable par réciprocité. Étonnamment, il écarte ce motif sans grande explication, alors que l’art. 26 al. 3 CEExtr réserve spécifiquement le principe de réciprocité.
Il écarte également une violation de l’ordre public international en relevant le respect général des droits de l’homme par les Pays-Bas. Rappelons que l’ordre public international englobe les standards minimaux de protection des droits individuels résultant de la CEDH ou du Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966 (Pacte ONU II) parmi lesquels figurent l’interdiction de la torture ainsi que celle des traitements cruels, inhumains ou dégradants (art. 3 CEDH et art. 7 Pacte ONU II). Si la CEDH ne garantit pas, en tant que tel, le droit de ne pas être expulsé ou extradé, il n’en demeure pas moins que lorsqu’une décision d’extradition porte atteinte, par ses conséquences, à l’exercice d’un droit garanti par la CEDH, elle peut tomber dans le champ d’application des obligations d’un État contractant au titre de la disposition correspondante.
Il incombait toutefois à l’extradé de démontrer un « risque sérieux » de violation de ses droits fondamentaux. Cela n’est jamais chose aisée en pratique, car il faut nécessairement se reposer sur le bilan en matière de droits de l’homme de l’État requérant qui est en général établi par des rapports étatiques, inter-étatiques ou non gouvernementaux. Ceux-ci permettent d’établir un contexte mais portent rarement sur le cas spécifique de l’extradé. Confronté au refus quasi systématique des autorités suisses de demander aux autorités de l’État requérant des précisions sur les modalités concrètes de la détention (lieu, infrastructures médicales, traitements disponibles, etc.), l’extradé se retrouve souvent dans l’impossibilité matérielle de déterminer concrètement les éventuels manquements de l’État requérant concernant les conditions de détention ou le traitement médical qu’il prodiguera à l’extradé et donc de remplir les conditions imposées par le Tribunal fédéral. Dès lors, l’exigence de la démonstration d’un « risque sérieux » ne devrait, à notre avis, pas être examinée trop strictement au vu des enjeux considérés, à savoir la vie et l’intégrité corporelle de l’extradé, bien que la réalité procédurale soit autre.
La formulation utilisée par le Tribunal fédéral ne tranche toutefois pas le cas des États parties à la CEExtr dont on pourrait « douter » de leur respect des droits de l’homme et laisse présager qu’une question de principe pourrait être admise en lien avec des demandes d’extradition provenant de tels États.
Proposition de citation : Sandrine Giroud, État de santé apte à faire échec à une demande d’extradition, in: https://lawinside.ch/890/