La haute surveillance parlementaire

ATF 141 I 172 | TF, 24.08.2014, 2C_1006/2014*

Faits

L’encaveur Dominique Giroud et sa société Giroud Vins SA ont fait l’objet d’une procédure de soustraction fiscale et de rappel d’impôt. La Commission de gestion du Grand Conseil valaisan (COGEST) a décidé de vérifier le fonctionnement des services étatiques dans cette affaire, en particulier le rôle de Maurice Tornay, ancien fiduciaire de la société de Giroud et élu entre-temps au Conseil d’Etat.

Sur demande de la COGEST, le Conseil d’Etat a délié certains employés du Service cantonal des contributions de leur secret fiscal et de fonction et a ordonné la remise du dossier fiscal de l’affaire Giroud à la COGEST. Sur demande de Dominique Giroud, le Conseil d’Etat a refusé de rendre une décision attaquable en indiquant l’absence de voie de droit contre les actes rendus en matière de haute surveillance parlementaire. Dominique Giroud et Maurice Tornay saisissent alors le Tribunal cantonal et concluent à ce que le Conseil d’Etat rende une décision attaquable.

Le Tribunal cantonal déclare leur recours manifestement irrecevable. Les demandeurs déposent alors un recours en matière de droit public auprès du Tribunal fédéral. Celui-ci doit juger, dans un premier temps, si c’est à bon droit que le  droit valaisan permet d’exclure de la compétence de ses tribunaux le domaine de la haute surveillance parlementaire et, dans un second temps, si le Conseil d’Etat aurait dû rendre une décision attaquable relative à la levée du secret fiscal.

Droit

En premier lieu, le Tribunal fédéral analyse la qualité pour agir des recourants au sens de l’art. 89 al. 1 LTF. A ce titre, ils doivent notamment prouver l’existence d’un intérêt digne de protection actuel à l’annulation ou la modification de la décision attaquée. Selon la jurisprudence, l’intérêt actuel doit exister non seulement au moment du dépôt du recours, mais aussi au moment où l’arrêt est rendu (ATF 137 I 296, c. 4.2). Le Tribunal fédéral fait cependant deux exceptions à ce principe. La première, lorsque (i) la contestation peut se reproduire en tout temps dans des circonstances identiques ou analogues ; (ii) que la nature de l’affaire ne permet pas de la trancher avant qu’elle ne perde son actualité ; (iii) et, qu’en raison de sa portée de principe, il existe un intérêt public suffisamment important à ce que la question soit tranchée (ATF 137 I 23, c. 1.3.1). La seconde, lorsque le recourant invoque une violation de la CEDH et qu’il les motive de manière conforme à l’art. 106 al. 2 LTF (ATF 139 I 206, c. 1.2.1).

En l’espèce, le dossier fiscal de l’affaire Giroud a déjà été remis à la COGEST. Cependant, la procédure de haute surveillance n’est pas encore terminée et la levée du secret fiscal peut encore avoir des répercussions. Partant, les recourants semble encore disposer d’un intérêt actuel. En tout état de cause, le Tribunal fédéral estime qu’il n’aurait pas pu trancher l’affaire avant qu’elle ne perde son intérêt actuel. De plus, la cause revêt un intérêt public suffisant, dans la mesure où elle concerne l’accès au juge et la haute surveillance sur le pouvoir exécutif. Finalement, les recourants invoquent de manière soutenable une violation des art. 13, 29 et 29a Cst., qui concrétisent les art. 6, 8 et 13 CEDH. Partant, le recours est recevable.

L’art. 75 lit. d LPJA/VS dispose que « [l]e recours de droit administratif n’est pas recevable: (…) contre les décisions relatives à l’exercice de la haute surveillance sur l’administration cantonale ».

Le Tribunal fédéral doit déterminer si le présent litige relève de la haute surveillance parlementaire. Celle-ci vise à vérifier que le pouvoir exécutif et l’administration agissent conformément au droit, qu’ils se servent à cette fin de moyens rationnels, appropriés, efficaces, économiques, qu’ils font un bon usage de leur pouvoir d’appréciation et que ces tâches produisent des résultats satisfaisants du point de vue politique. Les instruments et sanctions dont dispose le parlement lorsqu’il constate des irrégularités dans l’administration de l’Etat sont en principe également de nature exclusivement politique. Le parlement ne peut se substituer aux organes surveillés, leur donner des directives concrètes, ni casser ou modifier leurs décisions. L’exercice de la haute surveillance parlementaire se limite par ailleurs à identifier la responsabilité collective de l’exécutif, voire d’une unité administrative par rapport aux éventuels dysfonctionnements de l’Etat. Cette activité ne consiste donc pas à rechercher des chefs fondant la responsabilité de l’Etat ou encore la responsabilité civile, pénale ou administrative des individus qui se seraient trouvés à l’origine des comportements inadéquats ou irréguliers constatés.

Dans le cas d’espèce, la levée du secret fiscal par le Conseil d’Etat est intervenue à la demande de la COGEST qui souhaitait prendre connaissance du dossier fiscal de l’affaire Giroud afin d’évaluer le comportement de l’administration cantonale et du Conseil d’Etat dans ce dossier. Le Tribunal fédéral conclut dès lors que le contrôle visé par la COGEST relève de la haute surveillance parlementaire. Partant, conformément à l’art. 75 lit. d LPJA/VS, il n’y a pas de contrôle judiciaire cantonal possible. Il convient cependant de s’interroger si cette exclusion est conforme au droit fédéral.

L’art. 29a Cst. donne à toute personne le droit à ce que sa cause, entendue comme un différend juridique mettant en jeu des intérêts individuels dignes de protection, soit jugée par une autorité judiciaire. Cette norme étend le contrôle judiciaire à toutes les matières, y compris aux actes de l’administration, en établissant une garantie générale de l’accès au juge. Cependant, l’art. 86 al. 3 LTF permet aux cantons d’instituer une autorité autre qu’un tribunal supérieur pour les décisions revêtant un caractère politique prépondérant. Notion indéterminée, elle ne trouve application que lorsque l’aspect politique prévaut clairement. La haute surveillance parlementaire revêt par nature des caractéristiques politiques prépondérantes : le parlement contrôle les activités du pouvoir exécutif. Par conséquent, le droit valaisan pouvait valablement exclure du contrôle judiciaire cantonal les décisions du Conseil d’Etat relatives à la haute surveillance parlementaire.

Puisque le Tribunal cantonal n’est pas compétent pour examiner la décision du Conseil d’Etat au sujet de la transmission du dossier fiscal, il se pose la question de savoir si le Conseil d’Etat aurait dû prendre une décision directement attaquable devant le Tribunal fédéral.

Le Tribunal fédéral relève que la haute surveillance n’a pas pour but de régler les rapports entre l’administration et les administrés de sorte que ceux-ci ne disposent généralement pas d’un droit à recevoir une décision. Il pourrait en aller autrement lorsque la haute surveillance ne vise pas seulement à évaluer le bon fonctionnement de l’administration en général, mais plutôt à identifier les agents cantonaux à l’origine des manquements constatés. Dans ce cas, ces employés seraient personnellement concernés et pourraient être titulaires de droits procéduraux distincts. En l’espèce, tel n’est pourtant pas le cas. De même, la haute surveillance ordonnée par la COGEST n’avait pas pour but une « mise au pilori » institutionnelle des recourants ou la volonté d’utiliser les informations à leur détriment.

Or, ce n’est que dans ces cas de haute surveillance détournée ou atypique que les recourants auraient pu exiger une décision attaquable afin d’exiger une pesée des intérêts entre celui de l’Etat à divulguer des informations et celui des individus au respect de leur sphère privée. Par conséquent, faute de rapport suffisamment étroit entre la haute surveillance et les recourants, ceux-ci n’avaient pas le droit d’obtenir une décision attaquable. Le principe d’interdiction du déni de justice n’a pas été violé.

En ce qui concerne une éventuelle violation du secret fiscal, le Tribunal fédéral relève que lorsque des devoirs de révélation, de dénonciation ou d’annonce sont prévus par la loi, les fonctionnaires ou membres d’une autorité ne sont pas tenus d’obtenir au préalable l’autorisation de la part de leur autorité supérieure afin de pouvoir divulguer l’information considérée. Ce raisonnement peut être appliqué par analogie au cas présent. En effet, la COGEST, de par ses attributions prévues dans la loi cantonale (art. 130 lit. a LOCRP/VS), a demandé la remise du dossier fiscal relatif à l’affaire Giroud. Ainsi, la transmission des informations demandées découlait de la loi et ne violait pas le secret fiscal.

Au regard de ce qui précède, les recourants n’avaient pas de droit à ce que le Tribunal cantonal examine la décision du Conseil d’Etat en matière de haute surveillance ni au prononcé d’une décision attaquable devant le Tribunal fédéral.

Le recours est dès lors rejeté.

Proposition de citation : Julien Francey, La haute surveillance parlementaire, in: https://lawinside.ch/76/