L’obligation d’assainir les chauffages électriques : violation de la garantie de propriété (art. 26 Cst.) ?
L’obligation d’assainir les chauffages électriques ne constitue pas une atteinte grave à la garantie de propriété (art. 26 Cst.) car elle ne rend pas plus difficile ou impossible l’acquisition, l’aliénation ou l’utilisation de la propriété. Dès lors, elle peut être prévue dans une loi au sens matériel (art. 36 al. 1er Cst.). Les objectifs de protection de l’environnement et d’approvisionnement énergétique suffisant constituent des intérêts publics suffisants pour fonder une telle mesure, même si la législation n’impose pas le remplacement par un système fonctionnant aux énergies renouvelables (art. 36 al. 2 Cst.). Enfin, il s’agit en l’espèce d’une atteinte proportionnée à la garantie de propriété puisqu’elle s’accompagne d’un délai suffisant et de dérogations (art. 36 al. 3 Cst.).
Faits
La loi vaudoise du 16 mai 2006 sur l’énergie (LVLEne) a pour but de promouvoir un approvisionnement énergétique suffisant, diversifié, sûr, économique et respectueux de l’environnement (art. 1 al. 1 LVLEne). Sous réserve d’autorisations exceptionnelles, elle interdit depuis 2013 le montage et le renouvellement de chauffages électriques (art. 30a). Le 20 décembre 2022, le Grand Conseil du canton de Vaud adopte une disposition complémentaire (art. 30a al. 2bis LVLEne) qui prévoit que l’assainissement des chauffages et chauffe-eau électriques est réglé par un décret du Conseil d’Etat. Ce décret est adopté le même jour et a pour objectif de planifier l’assainissement des bâtiments utilisant des chauffages électriques (DACCE).
En substance, l’art. 9 DACCE prévoit le remplacement des chauffages électriques et les différents types d’assainissement admis (remplacement par un autre système de chauffage, en privilégiant le recours aux énergies renouvelables ; réduction des besoins de chauffage par l’isolation de l’enveloppe du bâtiment ; compensation des besoins de chauffage par l’installation d’un système de production d’électricité renouvelable). L’art. 10 DACCE prévoit un délai d’assainissement au 1er janvier 2033 et aménage des dérogations. Enfin, le DACCE renvoie à une directive du Conseil d’Etat pour la fixation de certains seuils de consommation.
Plusieurs intéressé·e·s demandent l’annulation de l’art. 30a al. 2bis LVLEne et du DACCE auprès de la Cour constitutionnelle du Tribunal cantonal du canton de Vaud. La Cour constitutionnelle rejette le recours.
Les intéressé·e·s interjettent alors un recours en matière de droit public auprès du Tribunal fédéral qui doit déterminer si ces dispositions violent la garantie de propriété (art. 26 et art. 36 Cst.).
Droit
Les recourant·e·s font valoir que l’obligation d’assainissement prévue par le DACCE viole la garantie de propriété (art. 26 Cst.). S’agissant manifestement d’une atteinte à cette garantie, le Tribunal fédéral procède au contrôle de son admissibilité (art. 36 Cst.).
Premièrement, s’agissant de la condition de la base légale (art. 36 al. 1 Cst.), le Tribunal fédéral rappelle qu’il examine librement le contenu et la densité normative de la base légale lorsque l’atteinte est grave. Dans le cas contraire, son pouvoir d’examen se limite à l’arbitraire.
L’atteinte au droit de propriété est particulièrement grave lorsque la propriété foncière est enlevée de force ou lorsque des restrictions rendent impossible ou beaucoup plus difficile l’utilisation du sol de manière conforme à sa destination. Contrairement à l’avis des recourant·e·s, le Tribunal fédéral juge que l’exigence d’assainissement des chauffages électriques n’est pas grave puisqu’elle n’empêche pas l’acquisition et la conservation d’un bien immobilier. En outre, elle ne rend pas plus difficile ou impossible l’utilisation de ladite propriété.
L’atteinte n’étant pas qualifiée de grave, le Tribunal fédéral relève que, contrairement à ce que soulèvent les recourant·e·s, elle ne nécessite pas d’être prévue dans une loi au sens formel. Il importe peu que les règles pertinentes soient dans le DACCE ou dans une directive du Conseil d’Etat fondée sur une délégation législative prévue par le DACCE. Dans le cadre d’un examen limité à l’arbitraire, le Tribunal fédéral juge que le DACCE contient en l’espèce les éléments pertinents suffisants.
Partant, la Cour constitutionnelle n’a pas fait preuve d’arbitraire en considérant que le principe de légalité était respecté (art. 36 al. 1 Cst.).
Deuxièmement, le Tribunal fédéral analyse la condition de l’intérêt public (art. 36 al. 2 Cst.).
L’obligation d’assainir les chauffages électriques répond aux objectifs de protection de l’environnement et d’approvisionnement énergétique suffisant (cf. art. 30a al. 2bis cum 1er al. 1er LVLEne). Ces objectifs ont régulièrement occupé le législateur, notamment dans le cadre de la Stratégie énergétique 2050 ou de la Loi fédérale relative à un approvisionnement en électricité sûr reposant sur des énergies renouvelables. Le Tribunal fédéral a également jugé à plusieurs reprises que ces deux objectifs constituaient des intérêts publics suffisants pour justifier une restriction à la garantie de la propriété.
L’obligation d’assainissement prévue par les dispositions litigieuses poursuit ainsi des objectifs climatiques et énergétiques qui constituent des intérêts publics prépondérants et suffisants pour restreindre la garantie de propriété (art. 36 al. 2 Cst.).
Contrairement à ce que soutiennent les recourant·e·s, le fait que le DACCE n’impose pas le remplacement du chauffage électrique par un chauffage fonctionnant avec des énergies renouvelables, mais encourage uniquement les propriétaires à le faire, n’impacte pas ces considérations.
Troisièmement, le Tribunal fédéral analyse la proportionnalité des dispositions litigieuses, et plus particulièrement du délai d’assainissement fixé par l’art. 10 DACCE (art. 36 al. 3 Cst.).
A ce sujet, il relève que les dispositions qui prévoient l’obligation d’assainir les chauffages électriques n’imposent pas une obligation inattendue et soudaine mais une étape logique d’un processus qui a débuté en 1990 avec l’adoption par le Parlement fédéral d’un arrêté soumettant l’installation de chauffages électriques à autorisation. Le canton de Vaud a ensuite soumis le montage ou le renouvellement des chauffages électriques à certaines conditions dès 1994. En 2013, il a interdit le montage et le renouvellement de telles installations. L’obligation d’assainir les chauffages électriques existants n’est que la suite logique de ce processus. Par ailleurs, le Tribunal fédéral relève qu’en 2033, la majorité des chauffages électriques installés avant l’interdiction de 2013 auront atteint leur durée de vie (d’une moyenne de 20 ans).
Partant, le délai fixé à l’art. 10 DACCE respecte le principe de proportionnalité.
Le Tribunal fédéral analyse enfin l’exigibilité raisonnable des dispositions litigieuses. Il rappelle qu’elles n’imposent pas une obligation absolue de démanteler les chauffages électriques puisqu’elles prévoient des dérogations (art. 5 DACCE). Le DACCE prévoit également des dispositions particulières pour les chauffages décentralisés (art. 9 al. 2 et 10 al. 2 DACCE). Dans ces circonstances, le DACCE n’impose pas aux propriétaires un sacrifice inadmissible.
Le Tribunal fédéral en conclut que l’atteinte à la garantie de propriété découlant du décret est justifiée sur la base de l’art. 36 Cst et rejette le recours.
Proposition de citation : Margaux Collaud, L’obligation d’assainir les chauffages électriques : violation de la garantie de propriété (art. 26 Cst.) ?, in: https://lawinside.ch/1463/