Atteinte à la primauté du droit fédéral et à la liberté économique par la loi genevoise sur les services de Taxi et de VTC
i) Un canton ne contrevient pas au droit fédéral (art. 49 Cst.) ni à la liberté économique (art. 27 Cst.) en fixant des échéances temporelles dans lesquelles les voitures utilisées pour le transport professionnel de personnes doivent respecter des exigences contraignantes d’efficacité énergétique.
ii) La législation genevoise contrevient à la liberté économique (art. 27 Cst.) lorsqu’elle subordonne l’octroi de l’autorisation d’exploiter une entreprise de transport sous la forme d’une personne morale à la condition que l’une des personnes pouvant engager et représenter l’entreprise soit titulaire d’une carte professionnelle.
iii) Une disposition qui prévoit que le Conseil d’Etat peut fixer des prix de courses maximum pour les VTC en cas d’abus constatés contrevient au droit et au principe de la liberté économique (art. 27 et 94 Cst.).
Faits
Le Grand Conseil de la République et canton de Genève adopte la loi genevoise sur les taxis et les voitures de transport avec chauffeur (LTVTC/GE).
Plusieurs personnes forment un recours auprès de la Chambre constitutionnelle de la Cour de justice de la République et canton de Genève en concluant à l’annulation de certaines dispositions. La Cour de justice rejette le recours.
Les intéressé·e·s interjettent alors un recours en matière de droit public au Tribunal fédéral qui doit déterminer si les dispositions en question violent le principe de primauté du droit fédéral (art. 49 Cst.) et la liberté économique (art. 27 et 94 Cst.).
Droit
Premièrement, les recourant·e·s soulèvent que l’art. 18 al. 2 LTVTC/GE, qui prévoit des échéances auxquelles les voitures utilisées pour le transport professionnel de personnes doivent correspondre au minimum à une certaine catégorie énergétique (« étiquette-énergie » de catégorie A à G), viole la primauté du droit fédéral (art. 49 Cst.). Seule la Confédération serait compétente en matière d’admission des véhicules à la circulation routière (art. 106 al. 3 LCR cum art. 82 al. 1 Cst.) et en matière de limitation des émissions de CO2 (art. 74 et 89 al. 3 Cst.).
Le Tribunal fédéral rappelle que l’admission des véhicules à la circulation routière est une compétence exclusive de la Confédération (art. 106 al. 3 LCR cum art. 82 al. 1 Cst. ; Ordonnance réglant l’admission à la circulation routière [OAC]) et que, en vertu de la primauté du droit fédéral, lorsqu’une législation fédérale est exhaustive, les cantons ne sont pas autorisés à légiférer dans le domaine. Toutefois, les cantons peuvent établir des règles qui concernent d’autres domaines.
Dans le cadre du contrôle du véhicule avant l’immatriculation instauré par le droit fédéral (art. 82 Cst., art. 29 LCR), des émissions de CO2 dépassant une certaine limite n’empêchent pas l’admission du véhicule mais entraînent une sanction pour l’importateur. Le Tribunal fédéral relève ainsi que, indépendamment des critères énergétiques prévus à l’art. 18 al. 2 LTVTC/GE, il sera toujours possible d’immatriculer son véhicule. Cette disposition limite uniquement la profession de chauffeur de taxi et de VTC à l’utilisation de certains véhicules. Elle n’introduit pas un critère supplémentaire à l’admission à la circulation routière des véhicules. Or, les cantons sont libres de réglementer l’utilisation des véhicules automobiles dans le cadre de l’exercice autorisé de la profession de chauffeur de taxi ou de VTC.
Les compétences fédérales en matière de protection de l’environnement (art. 74 Cst.) et de consommation d’énergie des véhicules (art. 89 al. 3 Cst.) sont des compétences concurrentes. C’est dans le cadre de l’exercice de ces compétences que la Confédération a édicté pour les véhicules des dispositions sur les indications relatives à la consommation énergétiques (« étiquette-énergie » de catégorie A à G) (art. 1 LCO2, LEne, 17f al. 2 lit. a OLCO2, 10 al. 1 OEEE). Pour les mêmes motifs que ceux exposés ci-dessus, le Tribunal fédéral relève que cette législation n’empêche pas les cantons de limiter l’exercice d’une profession réglementée à l’utilisation de véhicules de certaines catégories. L’art. 18 al. 2 LTVTC/GE ne réglemente pas non plus l’importation ou la fabrication des véhicules et n’empiète ce faisant pas dans les compétences exclusives de la Confédération selon la LCO2 et l’OLCO2.
A la lumière de ces considérations, le Tribunal fédéral conclut que l’art. 18 al. 2 LTVTC/GE ne viole pas l’art. 49 Cst.
Les recourant·e·s font ensuite valoir que l’art. 18 al. 2 LTVTC/GE viole la liberté économique (art. 27 Cst.), parce qu’il ne permettrait pas aux chauffeurs concernés d’amortir leur parc de véhicules.
Relevant que la mesure est incontestablement fondée sur une base légale suffisante, qu’elle poursuit l’intérêt public à assurer un transport de personnes respectueux de l’environnement et qu’elle est apte et nécessaire pour atteindre ce but, le Tribunal fédéral analyse plus en détail la question de l’exigibilité raisonnable de la mesure. A ce sujet, il retient que la pondération des intérêts est admissible car, à teneur des faits constatés par l’instance précédente, les chauffeurs de taxi, à l’instar des chauffeurs de VTC, conservent en moyenne leur véhicule pendant trois ans. Par ailleurs, déjà 41,6 % du parc automobile des taxis est formé de véhicules de catégorie A. L’échéance de 2030 imposée par la loi cantonale pour avoir un véhicule qui n’émet pas d’émissions de CO2 ne pose ainsi pas de problème au vu de la rotation des véhicules et du mode majoritaire de consommation.
Partant, l’art. 18 al. 2 LTVTC/GE ne viole pas l’art. 27 Cst.
Deuxièmement, les recourant·e·s soutiennent que l’art. 10 al. 2 lit. c LTVTC/GE, qui subordonne l’octroi de l’autorisation d’exploiter une entreprise de transport à la titularité d’une carte professionnelle par l’une des personnes pouvant engager et représenter l’entreprise, lorsque la requérante est une personne morale, viole l’art. 27 Cst.
S’agissant manifestement d’une atteinte à la liberté économique (art. 27 Cst.), le Tribunal fédéral procède au contrôle de son admissibilité (art. 36 Cst.). Il admet que l’atteinte repose sur une base légale et poursuit l’intérêt public d’un meilleur contrôle des entreprises de transport s’agissant de la conformité de leurs activités avec les obligations légales telles que le respect des prescriptions sociales. Le Tribunal fédéral nie en revanche la proportionnalité de la mesure litigieuse. D’une part, l’examen pour obtenir la carte professionnelle se compose principalement de questions sur la topographie de la ville, sur les connaissances linguistiques et sur la conduite. D’autre part, la connaissance des obligations résultant de la LTVTC/GE est de toute façon une condition indépendante posée à la personne morale pour l’octroi d’une autorisation d’exploiter (art. 10 al. 2 let. e LTCTV/GE). Partant, la titularité de la carte professionnelle n’assure en rien le respect des obligations légales et ne remplit donc pas les exigences d’aptitude et de nécessité.
Au vu de ces considérations, le Tribunal fédéral conclut à l’annulation de cette disposition, en tant qu’elle concerne les personnes morales, pour violation de l’art. 27 Cst.
Troisièmement, les recourant·e·s soutiennent que l’art. 26 al. 2 LTVTC/GE, selon lequel le Conseil d’Etat peut fixer des prix de courses maximum pour les VTC en cas d’abus constatés, viole la liberté économique (art. 27 Cst.), sous l’angle du principe de la libre concurrence.
Le Tribunal fédéral rappelle que la concurrence des prix fait partie des éléments essentiels de l’ordre concurrentiel (art. 94 Cst.) et que les prescriptions qui imposent des prix et suppriment ainsi le libre mécanisme des prix représentent des dérogations à la liberté économique.
L’intervention dans l’offre et la demande constitue ainsi une atteinte grave à la liberté économique et analyse donc les conditions de l’art. 36 Cst.
En l’espèce, l’atteinte repose sur une base légale au sens formel qui octroie une liberté d’appréciation à l’exécutif, lui permettant de décider ce qui constitue ou non un cas d’abus. Tout en laissant la question de l’admissibilité de la base légale ouverte, le Tribunal fédéral relève que, à ses yeux, la formulation de la base légale n’apparaît pas suffisamment claire et précise compte tenu de la gravité de l’atteinte en cause.
En tout état, en effet, l’intérêt public visant à protéger la confiance que les clients accordent aux chauffeurs VTC ne permet pas de fonder l’atteinte en cause. Contrairement au service de taxis, qui représente un quasi-service public complémentaires aux entreprises de transports publics collectifs, les chauffeurs de VTC ne peuvent effectuer des courses que sur commande ou réservation préalable, avec un prix des courses fondé sur une libre entente préalable. Ainsi, il ne se justifie pas de devoir garantir la confiance des usagers dans le cas du service des VTC.
Le Tribunal fédéral en conclut que l’art. 26 al. 2 LTVTC/GE viole la liberté économique sous l’angle de la libre concurrence (art. 27 et 94 Cst.) et annule la disposition.
En définitive, le Tribunal fédéral admet partiellement le recours et annule l’art 10 al. 2 let. c LTVTC/GE, en tant qu’il concerne les personnes morales, ainsi que l’art. 26 al. 2 LTVTC/GE.
Proposition de citation : Margaux Collaud, Atteinte à la primauté du droit fédéral et à la liberté économique par la loi genevoise sur les services de Taxi et de VTC, in: https://lawinside.ch/1453/