Devoir de renseigner du candidat à l’embauche: quid des problèmes de santé?
Lors du processus d’embauche, une candidate doit renseigner l’employeur de troubles à la santé dont elle souffre seulement si ces troubles ont un impact sur l’aptitude au poste à repourvoir. De façon analogue, des questions sur l’état de santé de la candidate ne sont admissibles que si elles sont en lien de connexité avec l’aptitude au poste. Néanmoins, si le processus d’embauche prévoit un examen médical, il peut être raisonnablement exigé de la candidate qu’elle informe le médecin-conseil de l’employeur d’une maladie chronique qui pourrait affecter sa capacité de travail sur le long terme.
Faits
Lors du processus d’embauche pour un poste d’assistante à la clientèle auprès des CFF, une candidate doit répondre à un questionnaire et se soumettre à un examen d’aptitude médicale. En relation avec la question « Souffrez-vous actuellement de troubles de la santé ? », les instructions de remplissage du questionnaire précisent que par trouble à la santé « on entend des maladies ou des restrictions qui surviennent de façon répétée et nécessitent un contrôle périodique par un spécialiste médical et/ou une prise de médicaments ». Elles indiquent en outre que d’éventuels troubles à la santé devraient être également mentionnés « même si vous ne subissez pas de douleurs au quotidien et vous vous sentez apte à travailler ». La candidate répond à cette question par la négative. Elle est également considérée apte au poste par le médecin-conseil des CFF.
Quelques mois après l’entrée en poste de la candidate, les CFF constatent que celle-ci boite et mandatent un médecin pour qu’il évalue son état de santé. Le médecin conclut à la capacité de travail de la candidate mais indique que celle-ci souffre d’une maladie chronique comportant un risque d’invalidité sur le long terme. Il s’avère également que la candidate a souffert d’une fracture à la cheville en 2013 aux Etats-Unis, causant une légère boiterie. Le médecin précise que le questionnaire médical n’avait pas été rempli correctement par la candidate lors du processus l’embauche.
Après avoir entendu la candidate, les CFF mettent fin à sa relation de travail de façon ordinaire. Le congé est contesté sans succès devant le Tribunal administratif fédéral, à la suite de quoi la candidate saisit le Tribunal fédéral d’un recours en matière de droit public. La question litigieuse est notamment de savoir si la candidate a violé ses devoirs précontractuels.
Droit
Conformément à l’art. 10 al. 3 LPers et 173 al. 1 CCT CFF, l’employeur doit faire valoir un motif « objectivement suffisant » pour résilier un contrat de travail de durée indéterminée. En l’absence d’un tel motif, l’employé a droit à une indemnité selon l’art. 34 al. 1 LPers.
Se pose premièrement la question de savoir si la candidate a violé ses devoirs précontractuels en omettant d’informer son futur employeur du problème de boiterie. Le Tribunal administratif fédéral a retenu que tel était le cas.
La recourante soutient avoir répondu correctement au questionnaire en tant qu’elle ne nécessitait pas un contrôle périodique ni un traitement médicamenteux et qu’aucune affection n’avait d’impact sur sa capacité de travail. Elle avance en outre la protection de ses données personnelles et de sa personnalité en tant que motifs justifiant de ne pas répondre à la question litigieuse.
Le Tribunal fédéral rappelle les principes applicables au processus d’embauche. Le candidat doit répondre conformément à la vérité à toutes les questions ayant un lien de connexité avec le poste et le travail à effectuer (voir également l’art. 328b CO). Il doit en outre communiquer, de son propre gré, toute information qui le ferait paraître inapte au poste à repourvoir. L’examen du lien de connexité entre les informations demandées et le poste doit se faire dans chaque cas concret, à la lumière d’une pesée des entre l’intérêt du candidat à la protection de sa personnalité et l’intérêt de l’employeur à connaître le candidat. Les dispositions applicables en matière de protection des données requièrent également un tel lien de connexité entre les données collectées et le poste à repourvoir (art. 2 al. 1 let. b LPD cum art. 17 al. 1 LPD ; art. 27 ss LPers). Par ailleurs, l’employé n’a pas à l’égard de l’employeur un devoir général d’information relatif à son état de santé. Finalement, selon la doctrine majoritaire, l’employé a le droit de répondre de façon inexacte lorsque l’employeur pose des questions relatives à la santé de l’employé en l’absence de tout lien de connexité avec l’aptitude au poste.
En l’espèce, l’activité d’assistante à la clientèle nécessite en particulier de pouvoir se déplacer entre les véhicules en mouvement. La question prévue dans le questionnaire d’embauche des CFF était donc admissible, d’éventuels troubles à la santé pouvant affecter l’aptitude à ce travail. La recourante estime avoir répondu à la question correctement dès lors qu’au moment de l’examen elle ne souffrait d’aucun trouble « actuel ». Selon le Tribunal fédéral, cette position est défendable en ce qui concerne l’ancienne fracture de la cheville (de 2013). Pour ce qui est de la maladie chronique, le Tribunal fédéral considère qu’il aurait été « raisonnablement exigible » de la candidate de fournir des informations sur sa situation, afin de permettre au médecin-conseil de déterminer si la maladie aurait pu affecter sa capacité au travail. Ce n’est toutefois pas pour autant que la candidate a violé ses devoirs : comme il a été retenu que la maladie chronique n’avait pas d’effet sur la capacité de travail, la candidate n’avait pas de devoir de renseigner les CFF sur sa maladie. En définitive, la façon de faire de la recourante n’est pas exempte de tout reproche, mais pas constitutive d’une violation de ses devoirs compte tenu de la formulation ambiguë de la question posée et des instructions de remplissage.
La deuxième question à traiter est de savoir si le comportement de la candidate justifiait objectivement son licenciement. En particulier, le manquement reproché doit être de nature à détruire le rapport de confiance entre employeur et employé. L’examen doit se faire à la lumière du principe de la proportionnalité, impliquant une balance des intérêts dans le cas d’espèce.
En tant que tel, comme on l’a vu le fait de ne pas avoir précisé dans le questionnaire le problème à la cheville ne peut pas être reproché à la recourante compte tenu du manque de clarté de la question posée et du fait que le médecin-conseil des CFF a confirmé la capacité de travail de la candidate. S’agissant des circonstances et de la date de l’accident, les explications peu transparentes de la candidate n’ont en soi pas porté préjudice aux intérêts de l’employeur. Par conséquent, le lien de confiance n’a pas pu être rompu par ce comportement. Le Tribunal fédéral retient donc qu’il n’existait pas de motif suffisant justifiant le licenciement de la candidate.
Finalement, la candidate allègue avoir été licenciée en raison de son état de santé (spécifiquement: crainte d’un état d’invalidité sur le long terme) et donc de façon abusive. Bien qu’il reconnaisse que l’état de santé de la candidate était en relation avec le licenciement de celle-ci, le Tribunal fédéral considère néanmoins que le congé n’est pas abusif dans la mesure où le problème de santé aurait pu porter atteinte à la capacité de travail de la candidate et que le comportement de la candidate n’a pas été exempt de tout reproche.
Pour ces raisons, le Tribunal fédéral admet partiellement le recours et renvoie la cause à l’instance précédente pour qu’elle fixe une indemnité équitable due à la candidate en raison de son licenciement prononcé sans motifs objectivement suffisants.
Proposition de citation : Simone Schürch, Devoir de renseigner du candidat à l’embauche: quid des problèmes de santé?, in: https://lawinside.ch/1365/