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Manifestations non autorisées et liberté d’expression

TF, 31.08.22, 6B_655/2022

Même lorsqu’une manifestation n’a pas été autorisée, les forces de l’ordre doivent faire preuve d’une certaine tolérance à l’égard des rassemblements pacifiques, ce qui implique une pesée des intérêts en présence. En l’espèce, l’état de fait établi par le Tribunal cantonal vaudois est lacunaire et justifie le renvoi de l’affaire afin qu’il le complète.

Faits

Entre septembre 2019 et juin 2020, un homme participe à plusieurs manifestations pacifiques non autorisées (mais annoncées par leurs organisateurs·ices aux autorités compétentes), au cours desquelles il contribue au blocage de certains axes de circulation routière. Évacué par les forces de l’ordre, il leur oppose une résistance physique en s’agrippant aux autres manifestant·es ou à des objets mobiliers.

Le Tribunal de police de l’arrondissement de Lausanne déclare le manifestant coupable notamment d’entrave aux services d’intérêt général (art. 239 ch. 1 CP), d’empêchement d’accomplir un acte officiel (art. 286 CP) et de violation simple des règles de la circulation routière (art. 90 al. 1 LCR). Il le condamne à une peine pécuniaire et à une amende. Sur appel, le Tribunal cantonal vaudois réduit les peines et, pour le surplus, confirme le jugement attaqué. Le condamné exerce un recours en matière pénale auprès du Tribunal fédéral, en invoquant notamment les art.Lire la suite

La licéité d’une manifestation pacifique non autorisée (CourEDH)

CourEDH, 03.05.2022, Affaire Bumbeș c. Roumanie, requête no 18079/15

Pour déterminer le caractère licite d’une manifestation, les autorités nationales sont tenues d’examiner le niveau de nuisance concrètement causé par celle-ci.

Malgré l’absence de l’autorisation requise par la législation nationale, une manifestation pacifique n’entraînant pas de perturbation de la vie quotidienne est licite au regard des art. 10 (liberté d’expression) et 11 CEDH (liberté d’association et de réunion) et, par conséquent, ne peut entraîner de sanction pour ses participant·e·s. 

Faits

En août 2013, le gouvernement roumain approuve un projet de loi autorisant l’extraction d’or et d’argent sur le site de Roșia Montană, sans consulter ni informer la population au préalable. Le projet, qui implique l’usage de cyanure, est controversé en raison de son probable impact négatif sur l’environnement et le patrimoine local. Afin de protester contre l’exploitation minière du site, quatre citoyen·ne·s se menottent à une barrière bloquant l’accès au parking du quartier général du gouvernement roumain, tout en brandissant des pancartes sur lesquelles on peut lire « Sauver Roșia Montană ». Il ressort de l’enregistrement vidéo de l’évènement, posté sur YouTube, que la police intervient rapidement pour détacher et évacuer les manifestant·e·s, qui gardent le silence et opposent une résistance purement passive.… Lire la suite

Une publication des Jeunes UDC bernois sur les “Tziganes étrangers” constitutive de discrimination raciale

ATF 148 IV 113 | TF, 10.03.2022, 6B_636/2020*

Le qualificatif de « Tziganes étrangers » (« ausländische Zigeuner ») renvoie à une catégorie générique désignant les Roms et les Sinti et donc à des ethnies au sens de l’art. 261bis CP. Une publication qui dénigre ce groupe de manière globale en lui prêtant un comportement insalubre et criminel viole dès lors l’art. 261bis al. 1 et 4 CP.

Faits

Le 21 février 2018, les Jeunes UDC du canton de Berne publient sur Facebook et sur leur site internet un message critiquant un projet d’aires de transit pour les « Tziganes étrangers » (« ausländische Zigeuner »).

Cette publication comporte une illustration représentant une aire de transit sur laquelle s’entassent des déchets malodorants et où une personne à la peau légèrement foncée fait ses besoins en plein air. Un village avec un clocher figure en arrière-plan, alors qu’au premier plan un homme portant une casquette à croix suisse se bouche le nez avec dégoût.

L’illustration est notamment accompagnée du texte suivant : « Des millions dépensés pour la construction et l’entretien, de la saleté, des matières fécales, du bruit, des vols, etc. […] » (« Millionenkosten für Bau und Unterhalt, Schmutz, Fäkalien, Lärm, Diebstahl, etc.Lire la suite

L’interdiction de manifester face à la liberté de réunion : la condamnation de la Suisse par la CourEDH

CourEDH, 15.03.2022, Affaire Communauté Genevoise d’action syndicale (CGAS) c. Suisse,  requête no 21881/20

Malgré l’importance et le but des mesures sanitaires durant la pandémie de Covid-19 en 2020, une interdiction totale de manifester durant un laps de temps important, avec des menaces de sanctions pénales sévères en cas de non-respect, n’est pas proportionnée. Une telle ingérence contrevient à la liberté de réunion et d’association (art. 11 CEDH).

Faits

Le 13 mars 2020, le Conseil fédéral adapte l’ordonnance 2 sur les mesures destinées à lutter contre le coronavirus (O.2 Covid-19). Celle-ci interdit les manifestations publiques ou privées de plus de 100 personnes, maintenant toutefois la possibilité d’une dérogation éventuellement accordée par l’autorité cantonale (art. 7 let. a O.2 Covid-19). Le 17 puis le 20 mars 2020, le Conseil fédéral durcit les mesures de l’ordonnance. Les manifestations publiques ou privées sont interdites, les rassemblements limités à maximum 5 personnes dans l’espace public et la possibilité d’obtenir une dérogation pour les manifestations ayant pour but l’exercice de droits politiques est exclue. Comme sanction, l’ordonnance prévoit jusqu’à 3 ans de peine privative de liberté. Ces interdictions restent en vigueur jusqu’au 30 mai 2020, date à laquelle des manifestations de maximum 30 personnes sont à nouveau autorisées.… Lire la suite

L’acquittement des participants à une manifestation pacifique

CPAR, 17.12.2021, AARP/410/2021 et 23.12.2021, AARP/411/2021

L’art. 11 CEDH s’oppose à la condamnation de manifestant·e·s ayant pris part à une action pacifique sans commettre d’actes répréhensibles ou occasionner de perturbations de la vie quotidienne hors de proportion. Le blocage d’un axe routier secondaire constitue une perturbation proportionnée.

Faits

Dans chacun de ces deux arrêts, la Chambre pénale d’appel et de révision genevoise (« CPAR ») disposait d’un pouvoir de cognition limité par l’art. 398 al. 4 CPP et a retenu les faits suivants sur cette base.

L’arrêt AARP/410/2021 concerne une action menée devant les locaux d’une grande banque afin de dénoncer les investissements dans les énergies fossiles. La plupart des intervenant·e·s – dont les prévenu·e·s – étaient agenouillé·e·s devant une banderole, la tête recouverte par un sac en toile de jute. Après une sommation de la police, les intervenant·e·s ont quitté les lieux et entamé un défilé jusqu’à leur interpellation.

Condamnés à une amende de CHF 300 par le Tribunal de police genevois, les prévenu·e·s ont fait appel de ce jugement devant la CPAR.

L’arrêt AARP/411/2021 porte quant à lui sur les suites d’une manifestation sur le climat. Au terme de cette action autorisée, un groupe de 150 à 200 personnes – parmi lesquelles les prévenu·e·s – a continué à défiler sans autorisation, bloquant un axe routier secondaire pendant environ une heure et demie.… Lire la suite