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L’interdiction de qualifier un discours politique de “racisme verbal” et la liberté d’expression (CourEDH)

CourEDH, 09.01.2018, Affaire GRA Stiftung gegen Rassismus und Antisemitismus c. Suisse, requête no 18597/13

La Suisse a violé la liberté d’expression (art. 10 CEDH) de la Fondation contre le racisme et l’antisémitisme en lui ordonnant de retirer de son site internet une publication qualifiant de “racisme verbal” les propos tenus par un président de section cantonale d’un parti politique lors d’un discours de campagne, estimant en substance qu’il était temps d’arrêter l’expansion de l’Islam, que la culture de référence suisse, basée sur le Christianisme, ne pouvait pas se permettre d’être remplacée par d’autres cultures et que, dans ce contexte, un signe symbolique comme l’interdiction des minarets représenterait une expression de la préservation de l’identité suisse.

Faits

En 2009, après une manifestation publique organisée dans le cadre de la campagne sur l’initiative contre la construction des minarets, les Jeunes UDC publient sur leur site internet un rapport indiquant notamment ce qui suit : à l’occasion de son discours, le président des Jeunes UDC de Thurgovie a souligné qu’il était temps d’arrêter l’expansion de l’Islam. Il a ajouté que la culture de référence suisse (schweizerische Leitkultur), basée sur le Christianisme, ne pouvait pas se permettre d’être remplacée par d’autres cultures.… Lire la suite

La qualification des informations accessibles sur Internet comme faits notoires

ATF 143 IV 380 | TF, 20.09.2017, 6B_986/2016*

En ce qui concerne les informations librement accessibles sur Internet, seuls les renseignements bénéficiant d’une empreinte officielle peuvent être qualifiés comme étant des faits notoires.

Faits

Un prévenu publie sur sa page Facebook le message suivant : « J’organise une kristallnacht. Qui est partant pour aller bruler du muzz  » (sic).

Au cours de la procédure, l’autorité pénale recherche la définition du mot « muzz  » sur le site internet « Wiktionnaire  » et retient que celui-ci fait référence à la communauté musulmane dans son ensemble. Considérant que la définition du terme « muzz  » est un fait notoire, car librement accessible sur internet, les instances cantonales n’interpellent pas le prévenu sur la signification de celui-ci.

Les instances cantonales vaudoises concluent que la publication Facebook litigieuse relève d’une incitation à la haine envers les musulmans. Le prévenu est condamné, celui-ci s’étant rendu coupable de discrimination raciale (art. 261bis al. 1 CP).

Le prévenu forme un recours en matière pénale au Tribunal fédéral. Celui-ci doit déterminer si la définition figurant sur le « Wiktionnaire » du terme « muzz  » est un fait notoire, respectivement si le prévenu aurait dû pouvoir s’exprimer quant à la portée de ce mot en vertu de son droit d’être entendu.… Lire la suite

Le geste de la « quenelle » : discrimination raciale ?

ATF 143 IV 308 | TF, 18.07.2017, 6B_734/2016*

Faits

Deux jeunes vêtus d’habits noirs et un militaire en tenue d’assaut, visages en partie camouflés, effectuent une « quenelle », geste popularisé par l’humoriste Dieudonné M’Bala M’Bala (Dieudonné) et consistant à tendre un bras vers le bas tout en positionnant la main de l’autre bras sur l’épaule, devant une synagogue.

Les trois jeunes sont reconnus coupables de discrimination raciale par le Ministère public du canton de Genève. L’un d’entre eux s’oppose à la condamnation et l’affaire finit devant le Tribunal fédéral. Ce dernier est amené à analyser la signification du geste de la quenelle et, plus précisément, si celui-ci constitue une discrimination raciale au sens de l’art. 261bis al. 4 première partie CP.

Droit

Aux termes de l’art. 261bis al. 4 première partie CP, se rend coupable de discrimination raciale celui qui aura publiquement, par la parole, l’écriture, l’image, le geste, par des voies de fait ou de toute autre manière, abaissé ou discriminé d’une façon qui porte atteinte à la dignité humaine une personne ou un groupe de personnes en raison de leur race, de leur appartenance ethnique ou de leur religion.

Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, une expression relève de cette norme lorsqu’elle serait comprise par un tiers moyen non averti dans les circonstances d’espèce comme relevant de la discrimination raciale.… Lire la suite

La négation du génocide arménien et le droit à la liberté d’expression (CourEDH)

CourEDH (Grande Chambre), 15.10.2015, Affaire Perinçek c. Suisse (Nº 27510/08)

Faits

Le requérant Dogu Perinçek participe à diverses conférences au cours desquelles il nie l’existence de tout génocide perpétré par l’Empire ottoman contre le peuple arménien. Il qualifie l’idée d’un tel génocide de « mensonge international ».

Sur plainte de l’association Suisse-Arménie, le requérant est pénalement condamné pour discrimination raciale (art. 261bis al. 4 CP) par le tribunal de police. Ce jugement est confirmé par le Tribunal cantonal, puis par le Tribunal fédéral (TF, 12.12.2007, 6B_398/2007). Le requérant saisit alors la Cour européenne des droits de l’homme. Dans une première décision rendue en 2013 (CourEDH, 17.12.2013, Affaire Perinçek c. Suisse [N° 27510/08]), la Cour a considéré que la condamnation par la Suisse de Perinçek violait la liberté d’expression (art. 10 CEDH). N’acceptant pas les motifs de cette décision, la Suisse a demandé à la Grande Chambre de la Cour européenne des droits de l’homme d’effectuer une nouvelle appréciation du cas (art. 43 par. 1 CEDH). Celle-ci a accepté la demande de renvoi (art. 43 par. 2 CEDH).

La Grande Chambre doit déterminer si la condamnation pénale du requérant pour avoir publiquement déclaré qu’il n’y avait pas eu de génocide arménien est contraire au droit à la liberté d’expression (art.Lire la suite