Le délai de six mois pour la reconnaissance de paternité prévu par l’art. 16i al. 1 let. a LAPG

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TF, 31.07.2024, 9C_719/2023*

Pour devenir le père légal de l’enfant au cours des six mois qui suivent la naissance au sens de l’art. 16i al. 1 let. a LAPG, l’administré ne doit pas seulement déposer une demande en vue de la reconnaissance de sa paternité ; la reconnaissance doit également avoir été enregistrée dans ce délai. Cependant, lautorité compétente pour la reconnaissance de lenfant ne doit pas faire supporter son absence d’organisation à l’administré.

Faits

Le 14 juillet 2022, l’Office de l’état civil cantonal vaudois enregistre une demande d’ouverture d’un dossier déposée par un assuré et sa conjointe en vue de la reconnaissance de la paternité de l’enfant commun à naître. Après la naissance de lenfant le 21 juillet 2022, les parents sont convoqués pour la signature de la déclaration de reconnaissance en paternité le 23 janvier 2023.

Après la signature de la déclaration de reconnaissance en paternité, l’assuré dépose une demande d’allocation pour perte de gain auprès de la caisse de compensation. Il y indique avoir pris dix jours de congé entre le 22 juillet et le 29 décembre 2022 pour s’occuper de son enfant. Par décision confirmée sur opposition, la caisse de compensation rejette la demande.

Le Tribunal cantonal vaudois admet le recours formé par lassuré et ses employeurs, annule la décision entreprise et renvoie la cause à la caisse de compensation.

La caisse de compensation interjette alors un recours en matière de droit public auprès du Tribunal fédéral, concluant à son annulation et à la confirmation de sa décision sur opposition. Dans ce contexte, le Tribunal fédéral doit se déterminer sur le respect du délai de six mois prévu par l’art. 16i al. 1 let. a LAPG lorsque la reconnaissance de paternité a lieu après l’échéance de ce délai, alors que la demande est formée avant cette échéance et que la durée du traitement de la demande est liée à une surcharge de l’autorité administrative compétente.

Droit

En bref, la caisse de compensation considère que dans la mesure où la reconnaissance de paternité a été enregistrée le 23 janvier 2023, soit plus de six mois après la naissance de l’enfant, le délai prévu à l’art. 16i al. 1 let. a LAPG na pas été respecté.

Le Tribunal fédéral commence par relever qu’il ressort de la version française, allemande et italienne du texte de lart. 16i al. 1 let. a LAPG que le droit à l’allocation de paternité suppose que l’homme soit légalement le père de l’enfant à la naissance de celui-ci ou qu’il le devienne au cours des six mois qui suivent cet événement. Ainsi, une interprétation purement littérale de l’art. 16i al. 1 let. a LAPG ne permet pas de déterminer quand l’homme devient le « père légal » de l’enfant en cas de reconnaissance. La notion de père légal correspond à la paternité juridique selon le droit de la famille, qui résulte du mariage avec la mère de l’enfant, de la reconnaissance de paternité ou d’un jugement. En ce qui concerne la reconnaissance de paternité, il s’agit d’un acte juridique unilatéral, par lequel le déclarant établit un lien de filiation avec un enfant. Il produit ses effets immédiatement et rétroactivement à la naissance de l’enfant.

Toutefois, le Tribunal fédéral déduit de lart. 260 al. 3 CC selon lequel « [l]a reconnaissance a lieu par déclaration devant l’officier de l’état civil ou par testament ou, lorsqu’une action en constatation de paternité est pendante, devant le juge » que le père doit effectuer la déclaration de reconnaissance devant l’officier de l’état civil et que celle-ci doit être enregistrée dans le délai de six mois. L’interprétation historique et systématique de l’art. 16i al. 1 let. a LAPG conduisent au même résultat.

Par conséquent, le Tribunal fédéral considère que le législateur entendait lier le droit à l’allocation de paternité à la condition que la reconnaissance de paternité ait lieu dans les formes prévues dans les six mois dès la naissance de l’enfant. Ainsi, il ne suffit pas que la demande soit présentée avant l’échéance de ce délai, même si elle aboutit en définitive à l’enregistrement de la reconnaissance dans le registre de l’état civil. En outre, le Tribunal fédéral relève que l’application de la condition liée au délai de six mois relève du droit matériel, de sorte que le principe de l’interdiction du formalisme excessif qui a trait aux règles de procédure n’est pas pertinent. Il en déduit donc que la considération de la juridiction cantonale selon laquelle pour devenir le père légal de l’enfant au cours des six mois qui suivent la naissance, il suffit que l’administré ait déposé une demande en vue de la reconnaissance de sa paternité dans ce délai, est contraire au droit.

En lespèce, cependant, notre Haute cour retient que le but de l’art. 16i al. 1 let. a LAPG est de permettre au père de compenser la perte de revenu durant le congé de paternité par la perception d’allocations. Aussi, le législateur na pas pu concevoir la constellation dans laquelle lautorité chargée de la reconnaissance de paternité admet qu’elle s’est trouvée dans l’impossibilité de convoquer ladministré avant l’échéance du délai de six mois en raison de diverses circonstances exceptionnelles, dont aucune ne relève des démarches de ladministré lui-même. Ainsi, la considération des juges cantonaux de ne pas faire supporter au justiciable ayant procédé aux démarches nécessaires dans le délai la rigidité du délai péremptoire de l’art. 16al. 1 let. a LAPG peut être suivie. En conséquence, il y a lieu de confirmer le droit de lassuré à l’allocation de paternité en cause.

Partant, le Tribunal fédéral rejette le recours.

Note 

Cet arrêt est rassurant pour les administrés. En effet, imposer la rigidité du délai de l’art. 16i al. 1 let. a LAPG et la surcharge de l’Office d’état civil a l’administré aurait été disproportionné. Reconnaître une exception là où la règle n’en connaît pas s’impose au vu du but de la loi, à savoir faire bénéficier le père légal de l’enfant une allocation pour compenser la perte de revenu pendant le congé consacré au nouveau-né.

Cependant, cet arrêt met en lumière les difficultés liées au délai de l’art. 16i al. 1 let. a LAPG. En effet, il résulte de l’interprétation du Tribunal fédéral que le respect de ce délai comprend un acte dont la réalisation ne dépend pas de l’administré, à savoir l’enregistrement de la reconnaissance de paternité. Par conséquent, cette décision laisse une question ouverte : Après combien de temps peut-on raisonnablement reprocher à l’administré d’avoir déposé sa demande tardivement ? Autrement dit, quel délai l’administré doit-il laisser à l’autorité compétente pour traiter sa demande ? Il demeure difficile de saisir quelles sont les limites exactes de l’exception reconnue par le Tribunal fédéral.

Proposition de citation : André Lopes Vilar de Ouro, Le délai de six mois pour la reconnaissance de paternité prévu par l’art. 16i al. 1 let. a LAPG, in : https://www.lawinside.ch/1647/