Le recours contre la décision de suspendre la procédure (art. 55a CP)

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TF, 09.07.2024, 7B_851/2023*

Le recours est ouvert contre une décision de refus de suspendre la procédure (art. 55a CP). En revanche, le prévenu ne dispose pas d’un intérêt juridiquement protégé à s’opposer à la décision ; il ne dispose ainsi pas de la qualité pour recourir (art. 382 CPP).

Faits

Le Ministère public de l’arrondissement de Lausanne ouvre une instruction à l’encontre d’un prévenu ; ce dernier est soupçonné d’avoir commis envers sa femme des lésions corporelles simples et qualifiées, des voies de fait ainsi que des menaces qualifiées.

Quelques mois plus tard, l’époux sollicite une suspension de la procédure au sens de l’art. 55a al. 1 let. c CP. Cette requête se fonde sur la volonté de l’épouse de ne pas déposer plainte pénale ; elle souhaite que la procédure ouverte contre son mari se termine, ce que l’épouse confirme par la suite.

Le Ministère public rejette la demande de suspension. Il estime qu’une suspension de six mois ne suffirait pas à stabiliser et améliorer la situation. Le mari forme recours contre cette décision auprès de la Chambre pénale du Tribunal cantonal vaudois, lequel admet le recours et renvoie l’affaire au Ministère public, afin qu’il statue à nouveau sur la requête en la motivant de manière accrue.

Le Procureur général adjoint du Ministère public forme alors recours en matière pénale contre le jugement du Tribunal cantonal vaudois. Le Tribunal fédéral est ainsi amené à se prononcer sur la possibilité de recourir contre la décision de refuser de suspendre la procédure.

Droit

En substance, le Procureur considère qu’il n’existe pas de droit à s’opposer à la décision de refuser de suspendre la procédure au sens de l’art. 55a al. 1 let. c CP. Le mari ne pouvait donc recourir auprès du Tribunal cantonal vaudois, lequel aurait dû déclarer le recours irrecevable.

La systématique de la loi (en particulier de l’art. 393 et 380 CPP) instaure le principe de l’universalité des recours en procédure pénale : toutes les décisions de procédure peuvent faire l’objet d’un recours, sauf si une disposition les qualifie de décisions définitives ou non sujettes à recours (art. 380 cum art. 379 et 393 CPP). Ainsi, la loi se limite à identifier les décisions contre lesquelles on ne peut pas recourir.

En l’espèce, l’art. 55a al. 1 let. c CP permet au ministère public ou au tribunal de suspendre la procédure si la victime est le conjoint/e ou l’ex-conjoint/e de l’auteur et qu’une suspension semble pouvoir stabiliser ou améliorer la situation de la victime. La possibilité de suspendre la procédure ne s’applique qu’aux infractions suivantes : lésions corporelles simples (art. 123 ch. 2 al. 3 à 5 CP), de voies de fait réitérées (art. 126 al. 2 let. b, bbis et c CP), de menaces (art. 180 al. 2 CP) ou de contrainte (art. 181 CP).

Tant selon l’art. 66ter aCP (abrogé au 1er avril 2004) que selon l’ancien art. 55a aCP (abrogé au 1er juillet 2020), les autorités pouvaient déjà renoncer à accorder la demande de suspension si certaines conditions étaient réunies.

Rien n’indique qu’il en aille autrement à l’égard de l’actuel art. 55a CP. La doctrine ne différencie d’ailleurs pas entre l’ancienne et l’actuelle teneur de la disposition s’agissant de la possibilité de recourir. Des décisions cantonales rendues sous l’empire de l’actuel art. 55a CP vont également dans ce sens. Enfin, la modification du texte légal qui a eu lieu en 2020 ne se fonde pas sur une remarque spécifique du Conseil fédéral ; on ne saurait ainsi y déceler une volonté du législateur de modifier la pratique en matière de recours contre le refus de suspendre la procédure. Ces raisons indiquent qu’un recours est bien ouvert contre le refus de suspendre la procédure au sens de l’art 55a CP.

Reste à déterminer si le mari avait la qualité pour recourir à l’encontre de la décision. L’art. 382 CPP exige que la partie qui entend recourir dispose d’un intérêt juridiquement protégé à annuler ou modifier la décision. Un tel intérêt suppose que la personne qui souhaite recourir soit touchée dans ses droits propres et non pas par effet réflexe. De plus, l’intérêt juridiquement protégé ne peut être un simple intérêt de fait ; il faut que la décision attaquée viole une règle de droit qui a pour but de protéger les intérêts de la personne qui entend recourir, laquelle en retire un droit subjectif.

En l’espèce, l’art. 55a CP protège et améliore la position de la victime ; c’est dans ce sens que le législateur a modifié la disposition précitée. Ainsi, seule la victime peut, au moyen d’une manifestation de volonté, requérir la suspension de la procédure sur la base de l’art. 55a CP, à l’exclusion du prévenu. Par conséquent, lorsque le ministère public refuse d’accorder une suspension, le prévenu ne peut y opposer aucun intérêt juridiquement protégé, puisque la norme n’a pas pour but de lui accorder de droit. Certes, le prévenu subit le fait que la procédure se poursuive ; cependant, ce désagrément ne se répercute que de manière indirecte sur lui. Il n’en retire aucun intérêt juridiquement protégé au sens de l’art. 382 CPP. Ainsi, bien que la décision de refus de suspendre la procédure (art. 55a CP) constitue une décision sujette à recours au sens de l’art. 393 CP, le prévenu ne dispose pas de la qualité pour recourir pour s’y opposer (art. 382 CPP).

Partant, le Tribunal fédéral admet le recours et déclare le recours du prévenu contre l’ordonnance du ministère public irrecevable.

Proposition de citation : Arnaud Lambelet, Le recours contre la décision de suspendre la procédure (art. 55a CP), in : www.lawinside.ch/1646/