Le paiement des frais de procédure pour requête téméraire ou qui témoigne de légèreté

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TF, 19.04.2024, 2C_313/2023*

La notion de requête téméraire ou qui témoigne de légèreté (art. 10 al. 2 LHand) suppose un élément objectif et subjectif. Le premier nécessite que la demande soit vouée à l’échec ; le second suppose que l’administré savait ou aurait dû se rendre compte que sa demande n’avait pas de chance d’aboutir.

Faits

En 2019, un étudiant débute un cursus de master en sciences de l’environnement à l’École polytechnique fédérale de Zurich (EPFZ). L’étudiant souffre de troubles cognitifs depuis un accident.

En 2020, il formule une demande afin d’obtenir une carte de stationnement automobile sur la base de la loi fédérale sur l’égalité des inégalités frappant les personnes handicapées (LHand). Il souhaite éviter les trains bondés en raison de la pandémie COVID-19. Tant l’EPFZ que la Commission de recours de l’EPFZ rejettent le demande. Ces dernières estiment qu’il n’existe pas de lien entre le handicap de l’étudiant et la volonté de se protéger du virus.

En 2021, l’étudiant demande à nouveau une carte de stationnement. Il avance cette fois qu’il doit se rendre à un cours-bloc sur le campus de l’EPFZ ; d’habitude, il loge dans un hôtel qui a depuis fermé. Il fait valoir qu’en raison de ses difficultés cognitives, il ne peut pas prendre les transports publics quotidiennement. L’EPFZ rejette la demande ; en revanche, la Commission de recours n’entre pas en matière. Elle considère qu’il existe une autorité de chose jugée à propos de la requête de l’étudiant. De plus, elle condamne ce dernier à s’acquitter des frais de la procédure : elle lui reproche d’avoir déposé une requête téméraire respectivement témoignant de légèreté. Le Tribunal administratif fédéral confirme le jugement.

L’étudiant forme alors recours au Tribunal fédéral, qui est amené à se prononcer sur notion de requête téméraire ou qui témoigne de légèreté selon la LHand.

Droit

L’art. 10 al. 1 LHand prévoit le principe de la gratuité de la procédure. Cela dit, l’art. 10 al. 2 LHand y oppose une exception : l’autorité peut mettre à charge de l’administré les frais de procédure lorsque ce dernier agit de manière téméraire ou témoigne de légèreté. Reste à savoir quels comportements rentrent dans le champ d’application de cette définition.

Les interprétations littérales et historiques ne permettent pas de dégager un sens précis de la norme. En revanche, l’interprétation systématique démontre que d’autres bases légales contiennent des dispositions similaires. En particulier, l’art. 61 let. fbis LPGA et l’art. 74 al. 2 LPP répriment tant les comportements téméraires que ceux qui font état d’une légèreté. Ces dispositions « sœurs » revêtent ainsi une importance particulière afin d’interpréter l’art. 10 al. 2 LHand.

Ainsi, la jurisprudence relative aux assurances sociales ne distingue pas entre la notion de témérité ou celle de légèreté. Les deux sanctionnent l’administré qui affirme des faits, alors qu’il ne possède pas de certitude à leur propos ou qu’il aurait pu les identifier comme faux en usant de toute sa diligence. De plus, maintenir des positions clairement contraires à la loi constitue également une attitude téméraire ou légère. Cela dit, introduire un recours voué à l’échec ne conduit pas nécessairement à adopter une telle attitude : c’est l’arbitraire de la position de l’administré qui détermine s’il a agi avec témérité ou légèreté. Pour arriver à cette appréciation, il faut donc l’administré soit à blâmer sur le plan subjectif.

En résumé, la notion de démarche téméraire ou qui témoigne de légèreté – ces deux termes étant équivalents – se caractérise d’une part par un élément objectif et d’autre part par un élément subjectif. Le premier se concrétise lorsqu’une demande est vouée à l’échec ou manifestement infondée. Le deuxième a trait au comportement reprochable de l’administré, c’est-à-dire au fait que ce dernier aurait dû connaître ou se rendre compte de l’arbitraire de la position qu’il soutient.

En l’espèce, le Tribunal administratif fédéral a estimé que les deux demandes de l’étudiant portaient sur le même objet. Ainsi, la première demande déployait autorité de chose jugée (res iudicata) lorsque l’étudiant a introduit la seconde. Cette démarche attesterait donc du caractère téméraire de la demande de l’étudiant, puisqu’il savait que la demande n’avait aucune chance d’aboutir.

La notion d’autorité de chose jugée vaut en principe pour les autorités judiciaires ; en revanche, les décisions des autorités administratives n’ont pas la même portée. En effet, elles possèdent certes une autorité de chose jugée sur le plan formel – la décision est entrée en force – mais pas sur le plan matériel. Ainsi, une autorité administrative peut revenir sur la décision matériellement incorrecte si l’intérêt à appliquer le droit correctement dépasse l’intérêt à préserver la sécurité du droit (ATF 137 I 69, consid. 2.3).

En l’espèce, les membres de la Commission de recours qui a rendu la première décision ont été élus par le Conseil des écoles polytechniques fédérales. La Commission de recours ne possédait donc pas une indépendance suffisante pour qu’on lui reconnaisse la qualité de tribunal au sens de l’art. 30 Cst. Par conséquent, la première décision n’a pas déployé d’autorité de chose jugée. Le raisonnement de l’instance précédente s’avère ainsi erroné. Au demeurant, en l’absence de res iudicata, l’étudiant avait le droit de soumettre au moins une fois sa cause devant un juge (art. 29a Cst.). L’exercice d’un droit constitutionnel ne constitue pas un comportement reprochable. Dans ces circonstances, il manque l’élément subjectif nécessaire pour retenir que la procédure a été introduite de manière téméraire ou avec légèreté.

Partant, le Tribunal fédéral admet le recours.

Note

Depuis le 1er novembre 2021, le Conseil fédéral (et non plus le Conseil des écoles polytechniques fédérales) nomme les membres de la Commission de recours interne des EPF (art. 37a al. 1 Loi fédérale sur les Écoles polytechniques fédérales). Cette modification visait en particulier à renforcer l’indépendance de cette Commission de recours par rapport aux autres organes des EPF (cf. intervention de Matthias Aebischer du 11.06.2020, BO 2020 N 913). Le Conseil national et le Conseil des États se sont opposés sur la question de la nomination de la Commission de recours lors des débats parlementaires. Après trois consultations successives infructueuses, le Conseil national a finalement consenti à écarter ses divergences et à accepter que le Conseil fédéral nomme les membres de la Commission de recours interne. Cette résolution de divergence se fondait notamment sur la volonté de considérer la Commission de recours en tant que « tribunal administratif de première instance » (cf. Intervention de Lilian Studer du 16.03.2021, BO 2021 N 482).

Dans l’arrêt présentement résumé, le Tribunal fédéral laisse expressément ouverte la question de savoir si, dans sa nouvelle composition, la Commission de recours interne est suffisamment indépendante pour qu’on lui reconnaisse la qualité de tribunal au sens de l’art. 30 Cst.

Le Tribunal fédéral traite régulièrement des questions d’indépendance des commissions de recours en lien avec l’art. 30 Cst. Elle avait récemment examiné la question au niveau d’une commission de recours communale dans l’ATF 149 I 343,  résumé in LawInside.ch/1376/.

Proposition de citation : Arnaud Lambelet, Le paiement des frais de procédure pour requête téméraire ou qui témoigne de légèreté, in : www.lawinside.ch/1446/