Baptême dans le lac Léman à Genève : l’organisation religieuse doit au préalable être admise à entretenir des relations avec l’Etat  

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TF, 23.02.2024, 2C_87/2023*

Le canton de Genève n’examine les demandes de manifestations religieuses cultuelles sur le domaine que lorsque l’organisation religieuse en question est admise à entretenir des relations avec l’Etat (art. 6 LLE/GE, art. 3 RLE/GE). Cette condition préalable n’est pas constitutive d’une discrimination fondée sur la religion (art. 8 al. 2 Cst.). Il s’agit par ailleurs d’une restriction admissible à la liberté religieuse (art. 15 et 36 Cst. et art. 9 par. 1 et 2 CEDH).

Faits

Une église évangélique dépose une demande d’autorisation de manifestation auprès du Département de la sécurité, de la population et de la santé de la République et canton de Genève (ci-après : le Département), en vue de la célébration du baptême d’un adulte, par immersion dans le lac Léman, sur une plage publique. Le Département refuse d’examiner si les conditions d’octroi d’une autorisation de manifester sont remplies (art. 6 loi sur la Laïcité (LLE/GE) et loi sur les manifestations sur le domaine public (LMDPu/GE) au motif que la requérante ne fait pas partie des organisations religieuses admises à des relations avec l’Etat.

Sur recours, la Chambre administrative de la Cour de justice de la République et canton de Genève (ci-après : la Cour de Justice) confirme la décision du Département.

L’église interjette alors un recours en matière de droit public auprès du Tribunal fédéral qui doit déterminer si l’exigence préalable selon laquelle la communauté religieuse doit être admise à entretenir des relations avec l’Etat pour obtenir l’autorisation de célébrer un culte sur le domaine public est conforme à l’interdiction de la discrimination (art. 8 al. 2 Cst.) et à la liberté religieuse (art. 15 Cst. et art. 9 CEDH).

Droit

À titre préliminaire, le Tribunal fédéral rappelle que l’art. 72 al. 1 Cst. prévoit que la réglementation des rapports entre les églises et l’Etat est du ressort des cantons. Le canton de Genève a formellement inscrit le principe de la laïcité de l’Etat dans sa Constitution (art. 3 Cst./GE). La loi cantonale genevoise sur la laïcité (cf. art. 4 LLE/GE) précise que, dans le cadre de l’accomplissement des tâches publiques, l’Etat peut entretenir des relations avec des organisations religieuse à certaines conditions fixées par le Conseil d’Etat dans un règlement. Pour demander une autorisation pour une manifestation religieuse cultuelle sur le domaine public (art. 6 LLE/GE), l’organisation religieuse doit être admise à entretenir des relations avec l’état (art. 3 RLE/GE). Afin de remplir cette condition, elle doit notamment avoir signé une déclaration d’engagement qui contient, entre autres, la reconnaissance de la primauté de l’ordre juridique suisse et le respect des droits fondamentaux (art. 3 et 4 RLE/GE).

En l’espèce, la recourante n’est pas une organisation religieuse admise à des relations avec l’Etat au sens des art. 3 et 4 RLE/GE et n’a jamais déposé une demande dans ce sens.

Fort de cette introduction, le Tribunal fédéral constate que le litige porte ainsi sur le point de savoir s’il est conforme aux droits fondamentaux de subordonner l’examen de la demande d’autorisation d’usage accru du domaine public à la condition préalable d’une admission à des relations avec l’Etat.

Dans un premier temps, la recourante dénonce une violation de l’interdiction de la discrimination fondée sur les convictions religieuses et le devoir de neutralité de l’Etat (art. 8 al. 2 Cst.). Entretenir une relation avec l’Etat, notamment reconnaître la primauté de l’ordre juridique suisse, serait contraire à sa foi évangélique. Partant, la condition préalable entrainerait une discrimination à son encontre.

Le Tribunal fédéral rappelle que nul ne doit subir de discrimination du fait notamment de ses convictions religieuses (art. 8 al. 2 Cst.). Cette disposition protège les personnes physiques et les personnes morales poursuivant un but idéal telles que les organisations à but religieux.

En l’espèce, l’exigence d’admission à des relations avec l’État, en particulier l’engagement de respecter l’ordre juridique suisse et les droits fondamentaux, s’applique à toutes les organisations religieuses. Les critères à remplir pour cette admission n’avantage ou ne désavantage aucune organisation religieuse. Contrairement à l’avis de la recourante, ladite exigence ne vise pas directement ou indirectement les communautés évangéliques en particulier. A la lumière de ces considérations, le Tribunal fédéral conclut que ce grief est mal fondé.

Dans un second temps, la recourante se plaint que l’exigence d’admission préalable à des relations avec l’Etat viole sa liberté de conscience et de croyance (ci-après : liberté religieuse) (art. 15 Cst. et 9 CEDH).

Le Tribunal fédéral rappelle que l’art. 15 Cst. protège toute personne contre les ingérences de l’Etat qui seraient de nature à gêner ses convictions religieuses. La liberté de religion comprend notamment la liberté extérieure d’exprimer et de pratiquer ses convictions religieuses.  Elle confère un droit conditionnel à l’usage accru du domaine public pour, notamment, y célébrer des manifestations religieuses. La portée de l’art. 15 Cst. est quasi identique à celle de l’art. 9 par. 1 CEDH, qui garantit notamment la liberté de religion. Par ailleurs, la liberté religieuse peut être restreinte aux conditions de l’art. 36 Cst., respectivement de l’art. 9 al. 2 CEDH.

En l’espèce, la condition préalable précitée entraîne une atteinte à la liberté religieuse puisque celle-ci protège le droit de manifester sa religion collectivement en public. Dès lors, il convient d’analyser le respect des exigences posées par l’art. 36 Cst. et l’art. 9 par. 2 CEDH afin de déterminer si l’atteinte constitue une violation ou une restriction à la liberté religieuse.

Premièrement, le Tribunal fédéral examine l’exigence d’une base légale (art. 36 al. 1 Cst.). Il constate au préalable que les instances cantonales n’ont pas interdit la célébration de baptêmes évangéliques sur le domaine public mais l’ont soumise à une condition préalable. Il suffit donc à la recourante de satisfaire à l’exigence posée pour pouvoir accéder à la prérogative sollicitée. De plus, le respect de l’ordre juridique suisse s’impose en tout état, en tout temps et à tous les sujets de droit. Ainsi, la déclaration d’engagement à signer n’est qu’un simple rappel. L’atteinte peut dès lors être qualifiée de légère. Partant, le règlement cantonal (RLE/GE) qui impose la signature d’une déclaration constitue une base légale suffisante (art. 36 al. 1 Cst.). Par ailleurs, le Tribunal fédéral retient que l’interprétation des art. 4 et 6 LLE/GE à laquelle la Cour de justice a procédé en retenant que délivrer une autorisation d’usage accru du domaine public entrait dans la notion de relations entre églises et Etat n’est pas insoutenable au vu de l’approche genevoise de la laïcité et de la systématique de la loi.

Deuxièmement, le Tribunal fédéral relève que l’exigence d’admission préalable doit poursuivre un intérêt public (art. 36 al. 2 Cst.) et être inspirée par un but semblable à ceux énumérés à l’art. 9 par. 2 CEDH, à savoir la sécurité publique, la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publique, ou encore la protection des droits et libertés d’autrui. En l’espèce, l’exigence d’admission préalable, comprenant la signature de la déclaration d’engagement (art. 4 RLE/GE), poursuit un but de sauvegarde de la paix confessionnelle et un but de respect de l’ordre juridique suisse, comprenant les principes démocratiques, et de l’Etat de droit. Ces buts constituent des intérêts publics admissibles et pertinents pour restreindre la liberté religieuse (art. 36 al. 2 Cst. et art. 9 par. 2 CEDH).

Troisièmement, le Tribunal fédéral vérifie le respect du principe de proportionnalité.

Sous l’angle de l’aptitude, l’exigence d’admission préalable à des relations avec l’Etat est propre à atteindre les buts précités puisque ladite exigence impose à l’organisation religieuse de signer une déclaration d’engagement à respecter ces buts.

Sous l’angle de la nécessité, l’exigence d’admission préalable à des relations avec l’Etat permet de procéder à un contrôle. La seule mesure moins incisive serait la suppression de cette exigence. Toutefois, le canton de Genève attache une grande importance à la séparation entre églises et état. Cette conception genevoise justifie que le canton contrôle que les organisations religieuses, contrairement à d’autres organisations, s’engagent au respect de l’ordre juridique en prévoyant une condition préalable à l’admission à des relation avec l’Etat. Cette vérification est donc nécessaire dans ce contexte.

Sous l’angle de la proportionnalité au sens strict, le Tribunal fédéral pondère, d’une part, l’intérêt public du canton de Genève à pouvoir s’assurer que les organisations religieuses avec lesquelles il a des relations s’engagent au respect de l’ordre juridique, et, d’autre part, l’intérêt de la recourante à ne pas se soumettre à la procédure d’admission. Comme indiqué précédemment, la contrainte est minime pour la recourante. Il lui suffit de demander son admission à des relations avec l’Etat (cf. art. 5 et 6 RLE/GE) et de signer la déclaration d’engagement. L’exigence d’admission préalable ne constitue pas une interdiction définitive de procéder à des manifestations religieuses sur le domaine public. Partant, le principe de proportionnalité est respecté. La Cour de justice a, à juste titre, considéré que l’atteinte est admissible.

Au vu de ce qui précède, le Tribunal fédéral rejette le recours.

Note

Dans un arrêt précédent (ATF 148 I 160 | TF, 23.12.2021, 2C_1079/2019*), le Tribunal fédéral avait procédé à un contrôle abstrait de la LLE/GE. Il avait conclu à l’annulation de certaines dispositions en lien avec l’interdiction de principe des manifestations sur le domaine public.

Cet arrêt fait l’objet d’un résumé en trois parties sur LawInside.ch :

Le contrôle abstrait de la Loi genevoise sur la laïcité de l’État (I/III) : l’interdiction de signaler son appartenance religieuse dans le cadre de ses fonctions

Le contrôle abstrait de la Loi genevoise sur la laïcité de l’État (II/III) : l’interdiction des manifestations religieuses cultuelles sur le domaine public

Le contrôle abstrait de la Loi genevoise sur la laïcité de l’État (III/III) : les restrictions relatives aux signes extérieurs

 

Proposition de citation : Margaux Collaud, Baptême dans le lac Léman à Genève  : l’organisation religieuse doit au préalable être admise à entretenir des relations avec l’Etat  , in : www.lawinside.ch/1443/