Les crédits COVID-19 et l’escroquerie (art. 146 CP)

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TF, 11.03.2024, 6B_271/2022*

Dans le cas particulier des « crédits COVID-19 », leur obtention illicite sur la base de la fourniture de fausses informations constitue une escroquerie au sens de l’art. 146 CP.

Faits

Par le biais de formulaires de demandes de « crédits COVID-19 » et en s’appuyant sur des factures fictives et des faux bilans, deux personnes parviennent, au nom de plusieurs sociétés, à obtenir indûment ces crédits de la part de banques.

La Corte delle assise criminali les déclare tous deux coupables d’escroquerie et de faux dans les titres. Sur appel, la Corte di appello e di revisione penale acquitte les deux prévenus des chefs d’escroquerie en relation avec les crédits COVID-19 perçus pour une partie des sociétés en cause et de faux dans les titres en relation avec l’une des factures produites.

Par la voie d’un recours en matière pénale, le Ministère public tessinois saisit le Tribunal fédéral, lequel doit se prononcer en particulier sur l’escroquerie en lien avec les crédits COVID-19.

Droit

Le Tribunal fédéral commence par rappeler le contexte général entourant les crédits COVID-19. Dans le cadre des mesures prises pour protéger la population, lesquelles avaient entraîné la fermeture d’établissements accessibles au public, le Conseil fédéral avait également adopté l’ordonnance du 25 mars 2020 sur l’octroi de crédits et de cautionnements solidaires à la suite du coronavirus (« OCaS-COVID-19 »).

Afin de répondre à l’urgence de la situation et d’assurer un accès rapide et non bureaucratique aux crédits bancaires, l’octroi des crédits COVID-19, conçus comme une « aide immédiate », était soumis à une procédure simplifiée et standardisée, qui reposait essentiellement sur une déclaration du demandeur de crédit. Le demandeur se contentait donc de remplir un formulaire en ligne et de le soumettre à la banque participant au programme d’aide, après acceptation des conditions-cadres figurant à l’annexe 1 de l’OCaS-COVID-19. Si les conditions étaient remplies, la banque transmettait ensuite le formulaire à l’organisme de cautionnement. Elle ne se livrait donc pas à un examen détaillé du cas.

Le Tribunal fédéral doit donc examiner si l’obtention illicite de crédits COVID-19 relève de l’escroquerie. Il souligne préalablement que cette question fait l’objet d’une controverse doctrinale.

Aux termes de l’art. 146 CP, quiconque, dans le dessein de se procurer ou de procurer à un tiers un enrichissement illégitime, induit astucieusement en erreur une personne par des affirmations fallacieuses ou par la dissimulation de faits vrais ou la conforte astucieusement dans son erreur et détermine de la sorte la victime à des actes préjudiciables à ses intérêts pécuniaires ou à ceux d’un tiers, est puni d’une peine privative de liberté de cinq ans au plus ou d’une peine pécuniaire.

S’agissant de la condition de l’astuce, le Tribunal fédéral rappelle qu’elle existe non seulement lorsque l’auteur a recours à un édifice de mensonges, mais aussi lorsque la vérification des fausses informations n’est pas possible, raisonnablement exigible ou lorsqu’elle est difficile. Jusqu’alors, la jurisprudence fédérale a toujours nié l’astuce en présence de simples informations fausses, dont l’exactitude peut être vérifiée sans effort particulier, lorsqu’il s’agissait de l’octroi de petits crédits.

Dans le cas des crédits COVID-19 (c. 5.1.4), la vérification des formulaires de demande de crédits par les banques n’était ni exigée, ni prévue. Il s’agissait en substance d’un prêt sur parole. Le Tribunal fédéral considère toutefois qu’il s’agit d’un cas exceptionnel. Se distinguant d’autres types de prêts, les crédits COVID-19 devaient apporter une « aide immédiate ». Ils étaient par ailleurs régis par une réglementation spécifique, soumis à des conditions précises et octroyés sur la seule base d’une déclaration du demandeur. Compte tenu des particularités de la situation d’urgence et du mécanisme mis en place pour y faire face, même de fausses informations constituent une astuce.

S’agissant ensuite de la condition du dommage, elle est remplie lorsque, par suite de l’acte de disposition motivé par l’erreur de la personne trompée par l’astuce, la valeur globale de son patrimoine est effectivement réduite, que ce soit de manière définitive ou provisoire. Selon la jurisprudence, s’agissant de prêts, le dommage peut prendre la forme d’une mise en péril d’actifs lorsque l’emprunteur trompe le prêteur, entre autres, sur sa capacité de remboursement, soit sur sa solvabilité. Le prêt est alors moins sûr qu’envisagé par le prêteur, ce qui entraîne une diminution de valeur dans son bilan en raison du risque accru de non-remboursement. Le dommage se concrétise alors au moment de la conclusion du contrat de prêt, sans qu’un remboursement ultérieur ne puisse éliminer la diminution de l’actif déjà intervenue lors de la conclusion du contrat.

Le Tribunal fédéral souligne également que les prêts liés aux crédits COVID-19 étaient entièrement garantis par un cautionnement solidaire. Toutefois, les banques, qui recevaient les demandes de crédits valant également demandes de cautionnement solidaire, disposaient d’un pouvoir de facto d’engager les organismes de cautionnement, et donc d’une sorte de pouvoir de disposition sur leur patrimoine.

Contrairement à ce qu’avait retenu la Corte di appello e di revisione penale, le Tribunal fédéral considère donc que la condition du dommage est remplie par rapport aux banques. Par ailleurs, le fait que les emprunteurs auraient disposé de liquidités suffisantes pour rembourser les crédits en tout temps n’est pas pertinent, la capacité de rembourser n’impliquant pas nécessairement la volonté de le faire, cette dernière n’ayant pas été pas démontrée en l’espèce. Au contraire, le fait d’avoir utilisé des bilans contenant des informations fausses démontre que  les emprunteurs n’avaient pas la volonté de rembourser les crédits.

Partant, le Tribunal fédéral admet partiellement le recours et renvoie la cause à l’instance précédente pour nouvelle décision.

Proposition de citation : Camille de Salis, Les crédits COVID-19 et l’escroquerie (art. 146 CP), in : www.lawinside.ch/1448/