L’infection au COVID-19 lors du travail en milieu hospitalier et le risque professionnel spécifique à l’activité (art. 9 al. 1 LAA)

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TF, 12.07.2024, 8C_582/2022*

Une maladie infectieuse – le COVID-19 – contractée lors du travail en milieu hospitalier n’est pas nécessairement une maladie professionnelle au sens de l’art. 9 al. 1 LAA ; il faut en plus que le travailleur ait contracté la maladie infectieuse alors qu’il exerçait un travail avec un risque professionnel spécifique à l’activité.

Faits

Une psychologue travaille au sein d’une clinique médicale durant la pandémie de COVID-19 en 2020. La psychologue n’entre pas directement en contact avec les patients que l’on suspecte d’être atteints du COVID-19. En revanche, les collègues qui s’occupent des patients suspects – dont la supérieure de la psychologue – se déplacent librement dans le service de psychologie. En octobre 2020, la psychologue contracte le COVID-19 ; par la suite, sa maladie évolue en COVID-19 long.

L’employeur de la psychologue annonce le cas auprès de son assurance obligatoire contre les accidents professionnels et non professionnels ainsi que les maladies professionnelles. L’assurance refuse de prendre en charge la patiente, car il n’a pas été prouvé avec suffisance que la psychologue avait contracté le COVID-19 sur son lieu de travail. Le Versicherungsgericht du canton d’Argovie rejette le recours de la psychologue. Cette dernière forme alors recours en matière de droit public auprès du Tribunal fédéral, qui est amené à se prononcer sur l’infection au COVID-19 sur le lieu de travail comme maladie professionnelle.

Droit

L’art. 9 al. 1 LAA définit les maladies professionnelles comme les maladies qui ont été causées exclusivement ou de manière prépondérante dans l’exercice de l’activité professionnelle, ou sont dues à des substances nocives ou à certains travaux. À cet effet, l’annexe 1 de l’OLAA précise que les maladies infectieuses doivent être reconnues comme maladie professionnelle lorsqu’elles sont contractées lors du travail dans les hôpitaux, les laboratoires, les instituts de recherches ou autres établissements analogues. L’annexe 1 de l’OLAA établit ainsi une présomption naturelle – et réfragable – de causalité entre le travail et la maladie.

Cela étant dit, le Tribunal fédéral examine la question du risque typique de la profession pour considérer la maladie comme professionnelle. En effet, une recommandation de la commission ad hoc sinistres LAA – qui ne lie toutefois pas le Tribunal fédéral – limite la portée de l’annexe 1 OLAA : la prestation de l’assurance n’est due qu’à condition que la personne malade soit chargée de travailler avec des patients infectés dans un hôpital ou si la personne accomplit des travaux de laboratoire dans un environnement fortement infecté ou contaminé.

En revanche, la doctrine majoritaire nie que le risque professionnel soit une condition pour que l’assureur verse une prestation : le simple fait que l’infection du travailleur intervienne sous la responsabilité de l’employeur suffit pour admettre une maladie professionnelle.

Le Tribunal fédéral relève que l’annexe 1 OLAA liste d’une part, les affections à qualifier de maladies professionnelles, et d’autre part les travaux qui provoquent ces affections. Or, cette liste découle d’une qualification opérée par le législateur du terme « certains travaux » de l’art. 9 al. 1 LAA : ces travaux présentent des risques caractéristiques qui sont directement liés à leur exercice. Par conséquent, la présomption naturelle qu’une maladie infectieuse a été provoquée par le travail en hôpital ne se justifie que lorsque l’employé a exercé une activité présentant le risque spécifique au poste de travail envisagé par le législateur. Toute activité en milieu hospitalier n’est pas automatiquement dangereuse, de sorte que toute maladie contractée par un travailleur en milieu hospitalier n’est pas automatiquement une maladie professionnelle.

En l’espèce, même si la psychologue travaillait en milieu hospitalier, elle n’entrait pas en contact avec les patients atteints de COVID-19 et ne s’occupait pas de leurs soins. Par conséquent, son activité ne comporte pas le risque spécifique d’un travail dangereux pour la santé au sens de l’art. 9 al. 1 LAA et sa maladie ne peut être qualifiée de professionnelle.

Partant, le Tribunal fédéral rejette le recours.

Note

Le Tribunal fédéral soulève dans son jugement que la doctrine majoritaire défend une autre opinion que la sienne. La doctrine fonde notamment son raisonnement sur l’objectif que poursuit l’art. 9 LAA  : l’assurance-accident a pour but d’offrir un régime alternatif à celui de la responsabilité civile de l’employeur. Or, le régime de la responsabilité civile obligerait l’employeur à indemniser toutes les travailleuses et travailleurs sans égard à l’activité qu’ils ou elles poursuivent. Il ne serait dès lors pas conforme au but de la loi de distinguer entre personnel soignant et personnel employé dans les hôpitaux lorsqu’on applique l’art. 9 LAA. On peut donc s’étonner que le Tribunal fédéral se soit abstenu d’étayer son interprétation de la norme par une analyse de la ratio legis dans le cas d’espèce.

Par ailleurs, même en acceptant les développements présentés ci-dessus, le Tribunal fédéral nous semble trop restrictif à l’égard des circonstances du cas d’espèce. En effet, il est avéré que la psychologue travaillait au sein d’un hôpital qui accueillait de nombreux patients atteints du COVID-19, bien que la psychologue n’eût pas la tâche de les traiter. Les patients atteints du COVID-19 et le personnel médical qui les traitaient n’étaient pas isolés dans une autre partie de l’hôpital. La psychologue côtoyait des collègues qui entraient en contact avec les patients dans les couloirs, lors de brèves réunions et partageait ses repas avec eux ; certains ont même été placés en quarantaine dans son service. Contrairement à des membres du personnel administratif de l’hôpital ou à des psychologues qui travaillent dans des cabinets privés, l’activité de la psychologue présentait selon nous un certain risque accru d’infection spécifique à la profession pratiquée, surtout lorsqu’on considère l’infectiosité du COVID-19 (voir également, Dupont Anne-Sylvie, La prise en charge des soins de santé en cas d’épidémie, in : Jusletter 22 juin 2020, no 25 et 26).

Proposition de citation : Arnaud Lambelet, L’infection au COVID-19 lors du travail en milieu hospitalier et le risque professionnel spécifique à l’activité (art. 9 al. 1 LAA), in : www.lawinside.ch/1477/